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choix de sa résidence. « J’arrivai à Samoa, dit-il, vers la fin de 1889. Vers cette époque, je commençais à m’attacher à ces îles par reconnaissance et par habitude. J’y avais gagné des amis, mon intérêt s’était éveillé pour de nouvelles questions. Le temps de mes voyages avait passé comme les jours au pays des fées. Je me décidai à rester... Si la destinée m’accorde de plus longs jours, je les passerai là où j’ai trouvé la vie très agréable et l’homme très digne d’intérêt. Les haches de mes noirs serviteurs sont déjà en train de défricher le terrain pour la fondation de ma future maison[1], et il faut que j’apprenne à m’adresser à mes lecteurs depuis les extrémités de la mer. L’île d’Oupolou avait été choisie à cause de la multiplicité de ses communications avec l’Amérique et l’Australie. Apia est une escale des paquebots qui font le service de San-Francisco à Sydney et de ceux qui vont d’Auckland à Tahiti.

Le site de Vailima, qu’il avait désigné pour sa demeure, était enchanteur. « Des fenêtres, on découvre l’Océan sur une largeur de 50 milles environ; tout autour, d’épaisses forêts. À gauche, une montagne profilant sur le ciel ses grands arbres ; tout auprès, l’îlot de notre clairière, où nous avons laissé quelques vieux géans. C’est une place bonne pour y résider. Matin et soir, nous avons des paysages de Théodore Rousseau, suspendus aux murailles de l’univers pour le plaisir de nos yeux, et la lune fait de la nuit comme une province du ciel. Cela n’empêche pas que nous n’ayons aussi notre saison d’hiver avec ses averses hurlantes, ses vents grondans, ses ténèbres en plein midi. » Autant Stevenson, pendant les trois années précédentes, avait été nomade, autant il fut sédentaire dans les années qui suivirent. Pendant les quatre années qu’il vécut à Vailima (île d’Oupolou), Stevenson partagea son temps entre ses devoirs de planteur, le culte des lettres et les affaires politiques de Samoa. Il prenait très au sérieux les premiers, défrichait, traçait des routes, montait à cheval pour aller surveiller ses plantations de cacao. Il avait repris des forces. Un Anglais, qui le vit à Pâques 1894, fut étonné de sa vigueur. « Il était debout à cinq heures du matin, écrivait-il, peu après se mettait au travail et, à onze heures du soir, on pouvait le voir danser au salon pendant que je jouais au piano des rondes écossaises. » C’est dans ce répit que lui

  1. In Ihe South-Seas, p. 1. Vai-lima signifie les cinq rivières ; ce fut le nom dont il baptisa sa propriété, à cause de cinq cours d’eau qui la traversent.