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barrière. Un ou deux pas plus loin, sans quitter les bois, je me trouvai au milieu de maisons en bon état. Je suivis les rues l’une après l’autre; elles étaient toutes à angle droit, pavées de gazon et bordées d’arbres ; au coin de chaque rue, une plaque indicatrice du nom, comme dans une vraie ville. Au bout de la principale, l’avenue centrale, se trouvait un temple à ciel ouvert avec des bancs et un rabat-voix, comme pour un orchestre. Toutes les maisons étaient soigneusement fermées, on ne percevait pas une fumée, pas un son autre que celui des vagues, pas une chose mobile. Je n’ai jamais vu aucun endroit, qui me transportât autant en rêve. Pompéi fourmille de touristes, et son antiquité, son caractère étrange trompent limagination. Ici, au contraire, il n’y avait pas plus d’un an ou deux que cette ville avait été bâtie et peut-être avait-elle été évacuée en une nuit. Le fait est qu’elle avait moins l’air d’une ville déserte que d’une salle de théâtre, le jour, avec des bancs vides. »

De Monterey, Stevenson revint à San-Francisco, où il tomba malade, et, après avoir été soigné avec dévouement par Mme Osbourne, il l’épousa (mai 1880). Après son mariage, il alla vivre quelque temps avec sa femme à Calistoga (comté de Napia), dont le climat tempéré acheva de le remettre. C’est de là qu’il alla explorer les gisemens argentifères, qu’il a décrits dans les Silverado Squatters[1]. Voici en quels termes il a dépeint la vallée de Napia : « L’atmosphère était pure comme du cristal de roche et l’air imprégné d’une forte senteur de résine. Il arrivait de l’Océan comme des bouffées d’air salin sur ces pentes verdoyantes. Les bois résonnaient de chants et exhalaient abondamment leur souffle salutaire. Il semblait que la joie eût élu domicile dans ces zones supérieures et que nous eussions laissé les ennuis et l’indifférence derrière nous dans la vallée. Ce verset d’un psaume nous revint en mémoire : Lève les yeux vers les montagnes, c’est d’elles que te viendra le secours ! »

Sept ans après, quand la mort de son père eut rompu le lien le plus fort qui le rattachât à son pays natal, c’est encore à l’Amérique qu’il alla demander de nouvelles forces physiques et morales. En effet, sa lutte répétée contre la maladie mortelle qui, comme un vautour, rongeait ce nouveau Prométhée, avait fini parle décourager. Son courage, sa gaîté, bien que soutenus

  1. Silverado Squatters, p. 249.