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10 sous. En même temps, il acceptait une autre commande officielle plus importante. La Commune avait décidé qu’en souvenir de ses prévarications, dans la salle d’audience même, où Peter Lanchals avait siégé, on rappellerait à ses successeurs ses crimes et son châtiment, par des peintures significatives. C’était d’ailleurs un usage général dans les tribunaux flamands au moyen âge. Les plus célèbres peintures de Roger de la Pasture étaient la Justice d’Herkenbald et la Justice de Trajan, à l’hôtel de ville de Bruxelles, celles de Thierri Bouts, la Justice de l’empereur Othon, à celui de Louvain. Gérard David eut à prendre son sujet dans Hérodote et Valère-Maxime, la Justice de Cambyse.

Sisamnès, disent ces historiens, était juge en Égypte, nommé par Cambyse. Le roi, ayant appris qu’il s’était laissé corrompre par un plaideur, ordonna qu’il fût écorché vif. La sentence fut exécutée, et la peau du supplicié employée à couvrir le siège sur lequel devait siéger son successeur, c’est-à-dire, dans l’espèce, son propre fils. Gérard David ne mit pas moins de dix ans à parfaire cet ouvrage. Un premier tableau représente l’Arrestation de Sisamnès, un second son Supplice. Tous les deux, d’une ordonnance calme et grave, rassemblant, sur peu d’espace, un grand nombre de figures fortement caractérisées, attestent que l’éducation pittoresque de Gérard était déjà complète, lorsqu’il vint travailler aux côtés de Memlinc. Education très hollandaise ; comme chez Thierri Bouts, des figures plutôt maigres et longues, tranquilles et droites, avec la même intelligence de l’ambiance atmosphérique et lumineuse, et des colorations chaudes et brunâtres, dans le goût d’Ouwater et de Gérard Van Sint Jant. Il saute aux yeux que tous les personnages sont des portraits ; et, comme Gérard David, durant les troubles, assista souvent à des scènes de ce genre, l’émotion qui se dégage de ces tragédies silencieuses n’en est que plus poignante. Le jugement a lieu dans le tribunal même, s’entr’ouvrant par un portique sur la place de l’Hôpital Saint-Jean. Les costumes, cela va sans dire, sont ceux de Bruges en 1488. Les peintres n’étaient pas encore assez savans ou assez pédans pour rechercher ce que nous appelons la couleur locale, au grand dommage, le plus souvent, de la couleur humaine. Pour eux, comme pour toutes les âmes simples, la Bible, l’Evangile, les histoires grecque et romaine n’avaient pas de dates ; ils les voyaient revivre chaque jour, autour d’eux, dans le même monde agité toujours des mêmes passions. Le juge,