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tous les Hollandais), de faire mouvoir vivement ou violemment ses figures sans les rendre maladroites ou grotesques. Thierri Bouts n’est à l’aise que lorsqu’il juxtapose, en des attitudes reposées ou des gestes lents, ses personnages paisibles, souvent longs et grêles, avec de bonnes têtes franches et de gros yeux fixes. Les deux supplices infligés à saint Hippolyte et à saint Erasme sont abominables ; l’un est écartelé à quatre chevaux dans une prairie en fleurs ; on arrache les entrailles à l’autre dans une vallée pittoresque. Aucun de ces spectacles horribles ne trouble le tranquille Néerlandais. Ses juges et ses bourreaux exécutent les sentences avec la même sérénité flegmatique. Les apprentis cavaliers, malingres et mal bâtis, qui fouaillent, dans le Saint Hippolyte, des dadas plus mal bâtis encore, auront grand’peine, il est vrai, à accomplir leur tâche sinistre. Quelques années plus tard, les deux bourreaux de saint Erasme, plus âgés et mieux construits, les yeux fixés sur la victime, serrant les lèvres, contenant leur émotion, rempliront encore leur fonction de dévideurs d’intestins avec un calme non moins surprenant. Dans ces deux peintures, d’un aspect très primitif, et même retardataire, ce qui, en revanche est admirable, touche et émeut, c’est d’abord la résignation, virile et digne, des suppliciés se roidissant contre les douleurs et tournant les yeux avec confiance vers le ciel, c’est aussi, derrière ces atrocités humaines, la beauté, insensible, hélas ! mais inviolable aussi, et fatalement consolante, du monde extérieur. Par la pureté de l’air qui baigne ses figures, par la fraîcheur de la lumière dont il les caresse, par la vérité des terrains, des feuillages, des ciels qu’il étale derrière elles, Thierri Bouts est bien le précurseur des grands paysagistes hollandais. Il excelle d’ailleurs dans l’aération lumineuse des intérieurs et des architectures autant que dans celle des panoramas champêtres. Dans la Cène, signée et datée de 1468, les maçonneries, les étoffes, le mobilier, les accessoires de toute espèce sont exécutés avec un relief extraordinaire. Rien de plus intéressant, en outre, que cette mimique sobre et contenue, bien peu plastique, mais très communicative, de tous les assistans en proie à des émotions diverses, suivant leur tempérament de corps et d’âme, si on la compare, en souvenir, avec les gesticulations, déjà si magistralement et si violemment accentuées, du Cenacolo, un peu antérieur, d’A. del Castagno, à Florence. Mêmes qualités dans un Jésus chez Simon dont une répétition, au musée de Bruxelles, a