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humanisant, avec une virilité nouvelle, l’art, devenu insuffisant, du moyen âge, il constitua, du coup, presque tout l’art moderne.

Ah ! que n’avons-nous ici, de sa main, toute la série des volets conservés à Berlin, l’Ange organiste et le groupe d’Anges chanteurs, si nobles précurseurs des adolescens florentins que Luca délia Robbia, vingt ans plus tard, groupera sur l’orgue de Santa-Maria del Fiore ! Que n’avons-nous les groupes, si vivans et si variés, des Juges, Cavaliers, Pèlerins, Ermites descendant vers l’Agneau par des pentes boisées ! De quelle admiration profonde nous nous sentirions frappés, et comme terrifiés, pour l’artiste vraiment unique, qui, complétant l’œuvre fraternelle, transporta le premier, dans la peinture, tout le spectacle de la vie humaine, avec une franchise, une délicatesse, une aisance, un sentiment poétique, une science multiple et certaine, science de l’anatomie, de la perspective, de l’aération, de la lumière, qui n’ont guère été dépassés !

Les organisateurs de l’exposition, malgré leurs efforts, n’ont pu réunir à Bruges les membres épars du retable de Gand. Jean Van Eyck n’y éclate pas moins comme le plus grand peintre du XVe siècle. En face de l’Adam et Eve, son Retable du chanoine G. Pala (G. van der Paele), le montre, en 1436, aussi puissant et original dans l’interprétation des personnages légendaires ou réels, aussi habile à les mettre en scène en leur vrai milieu d’architectures, de vêtemens, d’accessoires brillans, qu’il l’avait été dans ses études de la nudité. Quel artiste n’a tremblé d’émotion devant ce chef-d’œuvre du pinceau ? Mais qu’il est bon de le voir et le revoir à loisir ! Sous une abside d’église romane, aux colonnes polychromes, la Vierge est assise sur un trône de pierre sculptée. C’est toujours la femme qui nous apparut déjà, tantôt Vierge, tantôt Ange, sur les volets de Gand : front large et découvert, peu de sourcils et l’arcade très haute au-dessus d’yeux noirs vifs, un peu bridés, long nez, bouche fine, visage plein, d’un ovale régulier, sain et rosé, d’une expression calme et bienveillante, avec des touffes de cheveux blonds, légers, abondans et libres, ruisselant sur les épaules. Dans sa main gaucho (un peu petite, à son habitude), quelques fleurettes ; de la droite, elle soutient sur son genou le Bambino sans chemisette, tout nu, à l’italienne. Cet enfant, de mine trop intelligente, déjà mûr, presque vieillot, n’affecte sûrement aucune gentillesse sentimentale ; toutefois, dans son petit corps souple