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cherchée. Le triptyque de Louvain (n° 14), laissé inachevé par Jean, quoique bien défiguré par des additions modernes, montre suffisamment comment on procédait : les fonds de paysage, accessoires, vêtemens, sont achevés et détaillés avant que les visages, simplement esquissés, ne soient même colorés ; l’ouvrage est entamé de tous côtés et même fini sur quelques points, avec de grands espaces vides. Ce mode de travail suppose un dessin préparatoire d’une extrême précision ; or, les dessins que nous possédons de Jean Van Eyck (Sainte Barbe au musée d’Anvers) sont, en effet, poussés et détaillés à fond comme les plus fines gravures. Il est donc naturel de penser qu’Hubert, le directeur du travail, avait laissé, pour le tout, des cartons quasi définitifs ; il est naturel aussi de penser que Jean, après sa mort, en complétant les lacunes, imprima forcément à presque toutes les parties rejointes et reliées la marque définitive de son génie personnel.

Néanmoins, d’une part, quelques morceaux pouvaient être si bien finis qu’il n’eût point à y retoucher, et c’est le cas, à mon sens, de la partie centrale dans la composition principale ; l’aspect plus archaïque, des figurines pesantes et trapues, leurs parentés constantes avec les figurines des enlumineurs contemporains ou des vieux maîtres italiens, le travail plus pénible du pinceau, le jeu plus lourd des colorations moins franches et moins éclatantes, semblent bien révéler un artiste de transition, sortant avec effort du moyen âge, l’auteur même du Triomphe de l’Eglise et des Trois Maries. D’autre part, pour établir la part de Jean, nous avons toute la série de ses œuvres postérieures, et nous pouvons constater que, s’il y ajoute, dans la traduction énergique de la réalité, une sûreté du dessin, une franchise et un éclat des colorations, une puissance de rendu, non encore atteintes par son aîné, nous n’y retrouvons, néanmoins, ni la grandeur majestueuse des personnages sacrés, Dieu le Père, la Vierge, saint Jean, qui dominent le polyptyque, ni les mouvemens, un peu confus, mais vifs et hardis, des figurines si vivantes dans les trois morceaux où l’on croit reconnaître Hubert. Hubert, plus poète, semble donc avoir compris la composition pittoresque, dans toutes ses variétés et toute son étendue, comme les peintres épiques et narratifs d’Italie. Jean la réduisit à l’interprétation la plus fidèle et la plus simple possible du monde environnant. D’ailleurs, il répondait merveilleusement, en cela, aux instincts de sa race et il y déploya une telle force de génie qu’en