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art nouveau, celui du tableau mobile, c’est une recherche soutenue de l’achèvement dans toutes les parties de la scène et des scrupules croissans d’exactitude dans le rendu des formes, des attitudes, de l’action atmosphérique et de l’action lumineuse, auprès desquels la predella la plus soignée de Gentile da Fabriano ou de Fra Giovanni da Fiesole parait une improvisation délicieuse, mais relativement brève et sommaire.

Comme devait le faire, un siècle plus tard, Léonard de Vinci, Hubert l’avait donc compris : la valeur de l’œuvre d’art tient surtout à la valeur de l’exécution, et la perfection ne s’y peut acquérir que par une observation patiente et une analyse méthodique des réalités vivantes. Dans ce panneau de 1410, resté si personnel encore et si significatif à travers les repeints, les trois dormeurs, en leurs poses abandonnées, l’un étendu sur le sol, s’enveloppant dans son manteau jaune, les deux autres accroupis le long du sépulcre, sont dessinés et peints avec une science de la forme, une intelligence de l’effet lumineux, une saveur de colorations franches et chaudes, une acuité d’observation populaire, qui préparent toute l’évolution septentrionale. Le génie éclate mieux encore dans la vérité puissante du paysage grandiose qui se développe derrière les figures, longue chaîne de coteaux partie boisés, partie incultes, sur lesquels s’étage un amoncellement de dômes, clochers, remparts et tours, les uns italiens, les autres flamands, en briques ou pierres rouges, déroulant sur un ciel matinal les dentelures étranges de leurs silhouettes empourprées.

L’authenticité des Trois Maries, lors même qu’on oublierait le Triomphe de l’Église (musée de Madrid), devient tout à fait probable, si l’on prend la peine, entre deux trains, d’aller revoir à Gand le Triomphe de l’agneau. On a beaucoup discuté sur la part qui revient à chacun des frères. Pour l’ensemble, on est d’accord ; c’est Hubert qui fut le compositeur. Ce fut lui, sans doute encore, pour une bonne partie, avant sa mort, l’exécutant. L’inscription contemporaine, retrouvée sur l’un des panneaux, n’hésite pas à constater la supériorité du talent, aussi bien que celle de l’âge, chez Hubert. Hubertus quo major nemo repertus Incipit pondus. Quod Johannes arte secundus Perfecit. Ce qui est probable, aussi, c’est que, suivant l’usage du temps, dans l’exécution même, les deux frères, collaborateurs de tous les instans, ne se partageaient pas la besogne avec la rigueur qu’on y a