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aucun des ouvrages, en ces genres divers, respectés par le temps, même les admirables feuillets du Livre d’Heures du duc de Berry, à Chantilly, attribués à Pol de Limbourg ou à Jacquemart de Hesdin, précurseurs évidens des Van Eyck par la franchise de leur vision et la décision de leur faire dans les figures réelles et dans le paysage, ne suffit à expliquer l’apparition inattendue d’un chef-d’œuvre aussi complet que le polyptyque de Gand.

Quelques panneaux, de la fin du XIVe siècle, dans la première salle de l’exposition, ne montrent pas, à ce moment, l’art flamand plus avancé que l’art français et l’art de Cologne auxquels il s’apparente. Dans la Crucifixion des drapiers (église Saint-Sauveur), les attitudes déhanchées et les gestes anguleux des comparses, autant que les physionomies futées des petites saintes, minaudières et poupines, souriant de leurs bouchettes roses sous des grosses touffes de chevelures envolées, confinent de bien près à notre retable de Narbonne et autres ouvrages similaires du temps de Charles V, exécutés d’ailleurs, sous l’influence d’André Beauneveu, de Valenciennes. Dans la Vierge, Saint-Georges, Sainte-Catherine et donateurs (Hospice d’Ypres), la Vierge-reine, couronnée d’or, détache la pâleur douce de son visage régulier sur un fond de brocart rouge et or, ainsi qu’une vierge vénitienne. Déjà, le Saint-Georges, curieusement cuirassé, s’avance, la lance en main, pour recommander le donateur, comme il fera, bientôt, chez Van Eyck et Memlinc. L’ensemble de la peinture, avec ses éclats hardis d’écarlates, de blancs et de bleus purs, juxtaposés sur fond d’or, resplendit tel qu’un large blason émaillé, tel qu’un somptueux étendard. Le tabernacle et le triptyque quadrilobé, attribués à Broederlam, ne sauraient faire oublier les charmans panneaux du maître d’Ypres, dans le retable du duc Philippe le Hardi, au musée de Dijon ; c’est bien, d’ailleurs, dans la détrempe, la même touche légère, vive et claire, à la manière des vieux Siennois et des Colonais, leurs élèves, la même façon d’associer les naïvetés et les rusticités flamandes à la grâce un peu alourdie des réminiscences toscanes. Plusieurs des manuscrits exposés à l’hôtel Gruulhuuse, montrent, chez les miniaturistes contemporains, les mêmes affinités, les mêmes variétés de mixtures et de tendances.

Passer de là aux deux seuls panneaux du Triomphe de l’agneau qui aient été confiés à l’exposition de Bruges, l’Adam et Eve (musée de Bruxelles), c’est, il faut l’avouer, faire un saut