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un peu le pendant, en beaucoup moins accusé, de ce qui s’est passé pour les émigrés à leur rentrée sous le Consulat.

La princesse dont nous avons conté[1] les années héroïques nous en offre un exemple. Quand la Grande Mademoiselle, qui avait fait la guerre civile pour forcer le jeune Louis XIV à l’épouser, obtint, au bout de cinq ans, la permission de revenir à la Cour, elle y rapporta de vieilles habitudes d’indiscipline qui n’étaient plus de saison et devaient finir par lui attirer des désagrémens. L’exil n’avait rien abattu de sa fierté. Selon une formule célèbre, elle n’avait rien appris et rien oublié; elle était toujours cette personne de premier mouvement dont Mme de Sévigné disait : « J’aime bien à ne me point mêler dans ses impétuosités[2]. » Ce n’est pas moi qui en ferai un reproche à Mademoiselle ; il est tout à son honneur d’avoir manqué de souplesse dans l’âge de servilité qui succéda à la Fronde.

À d’autres égards, l’exil lui avait été très salutaire. Il l’avait obligée à chercher en elle-même des ressources qui s’y trouvèrent, et dont Mademoiselle fut la première à s’étonner. Elle s’admire naïvement, dans ses Mémoires, de ne jamais s’être ennuyée une seule minute dans « le plus grand désert du monde, » et c’est assurément à sa louange, car ses débuts à Saint-Fargeau auraient accablé la plupart des femmes. On en conviendra, si l’on veut bien venir l’y retrouver la nuit de son arrivée, au commencement du mois de novembre 1652.

I

Nous l’avions laissée pleurant sans vergogne devant toute sa suite. Son rêve de grandeur et de gloire était écroulé. Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, ne serait pas reine de France. Elle ne prendrait plus de villes, ne passerait plus de revues au son des fanfares et du canon. Trois semaines auparavant, le grand Condé la traitait en frère d’armes, elle faisait la joie des soldats par ses allures martiales, et on l’aurait fort surprise, et encore plus offensée, si quelqu’un lui avait dit qu’elle était capable d’être presque aussi poltronne que son père, le triste Gaston. À présent que tout était fini, même la fuite

  1. Voyez la Revue des 15 juillet et 1er octobre 1899, 15 février et 15 août 1900, et 15 août 1901.
  2. Lettre du 19 janvier 1689.