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modérantisme ; en tout cas il ne l’était pas hier. Eh bien ! M. Goblet condamne très sévèrement la loi de 1901 et l’application qui en est faite. Il emploie des mots très durs pour caractériser cette œuvre néfaste. Le coup a été senti, et même relevé. Les radicaux les plus modérés reprochent à M. Goblet de ne plus se rendre compte des conditions et des obligations d’un combat dont il s’est retiré. D’autres l’accusent de défaillance, sans oser cependant lui appliquer encore l’épithète de clérical ; cela viendra sans doute. M. Goblet continue de redouter l’invasion du cléricalisme, mais il a son procédé pour le combattre, qui est la séparation de l’Église et de l’État. Nous retrouvons la même idée exprimée dans une lettre de M. Armand Lods, qui est protestant, mais qui veut la liberté pour tous et qui se rend parfaitement compte de l’atteinte actuellement portée à celle des catholiques. Beaucoup de voix protestantes ont réclamé au nom de la liberté, entre autres celle de Mme Arvède Barine, qui a écrit une lettre très éloquente au Journal des Débats. Des israélites aussi se sont émus. Il ne s’agit pas ici d’une lutte établie entre des croyances religieuses différentes : c’est la liberté même de croire qui est mise en cause dans l’une de ses manifestations les plus importantes, celle d’enseigner ce que l’on croit. Aucune hypocrisie de la part des uns, aucune complaisance de la part des autres ne saurait masquer l’évidence de ce fait, et dès lors toutes les consciences vraiment indépendantes, à quelque opinion religieuse qu’elles se rattachent, ou même si elles ne se rattachent à aucune, s’inquiètent et s’alarment. Les protestations viennent de tous les côtés : au milieu des tristesses de l’heure présente, il y a là quelque chose de réconfortant.

C’est une campagne qui commence ; elle sera certainement poursuivie avec ardeur et avec vigueur. Dans un pays d’opinion, il faut s’adresser à l’opinion et la conquérir : tout le reste vient ensuite naturellement. Aussi ne saurait-on trop approuver la constitution qui vient de se faire d’une Ligue de l’enseignement libre. Il importe, en effet, de réunir tous les efforts, sans en altérer la spontanéité, et de les faire converger vers un même but. Les noms des fondateurs de la Ligue indiquent clairement dans quel esprit elle s’est formée. Nous y trouvons des protestans comme M. Georges Berger et M. François de Witt-Guizot, des catholiques comme M. Brunetière, M. Denys Cochin, M. Rousse, M. Georges Picot, M. Anatole Leroy-Beaulieu. Aucun d’eux ne songe à faire une manifestation confessionnelle, encore moins une manifestation politique dans le sens étroit qu’on attache généralement à ce mot. Il y a partout des amis