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aux plaisirs sensuels, ni non plus une prédisposition spéciale aux maladies nerveuses. L’artiste n’est ni un fou, ni un malade, ni un « dégénéré ; » il n’est qu’un artiste, c’est-à-dire un homme doué par la nature d’une faculté spéciale ; pour tout le reste, c’est un homme semblable à nous, pouvant avoir toutes les qualités ou tous les défauts. Seule, peut-être, une certaine « vanité » lui est propre, qui d’ailleurs, si elle diffère de l’orgueil par quelque chose de moins noble, ne doit pas cependant être confondue avec la jalousie. Et M. Mœbius s’emploie, avec beaucoup d’ingéniosité, à justifier cette vanité de l’artiste, qui lui apparaît non seulement comme une conséquence nécessaire du talent, mais encore comme sa garantie la plus effective contre les obstacles du dedans et ceux du dehors.

Il y a enfin une conclusion très précise qui ressort de l’histoire des arts aussi bien que de l’observation psychologique des artistes : c’est que les arts sont aujourd’hui, et ont toujours été (malgré des apparences contraires), indépendans l’un de l’autre et nettement séparés. Certains peintres de la Renaissance ont pu être à l’occasion de remarquables architectes, et quelques-uns même ont pu jouer parfaitement du luth, composer des chansons, ou écrire des vers : mais ils ont fait tout cela par manière de divertissement, et leur véritable talent n’en est pas moins resté concentré dans le domaine d’un seul art. Non que M. Mœbius prétende, lui aussi, spécialiser à l’infini les fonctions artistiques, et, par exemple, assigner des organes distincts à la peinture à l’huile et à l’aquarelle ! Il est au contraire porté à ranger dans une même catégorie tous les arts plastiques, peinture, sculpture, gravure, etc. ; le talent de l’architecture lui semble, très justement, une faculté composite, qui tient d’une part au sens du dessin, et, d’autre part, à celui de la construction ou « de la mécanique. »

Les facultés artistiques se ramènent, pour lui, à cinq : celle des arts plastiques, celle de la musique, celle de la mimique, celle de la poésie, et celle enfin de la « mécanique », qui consiste dans une aptitude particulière à construire des instrumens ou autres objets nouveaux. Mais, après cela, il n’admet pas que ces cinq « talens principaux » puissent être ramenés l’un à l’autre, ni décomposés en d’autres élémens. Ce sont des pouvoirs distincts, dans l’âme : et, par conséquent, à chacun d’eux doit correspondre, dans le cerveau, un organe distinct. « Car aucun savant ne conteste plus, aujourd’hui, qu’aux diverses fonctions de l’esprit correspondent, dans le cerveau, des organes divers, et ce serait absurde de penser que, à des besoins naturels qui sont tout à fait indépendans du reste de nos besoins, le