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leur devoir, parce que c’est le devoir, et sans autre souci. « Or il est moins difficile qu’on ne croit de découvrir le devoir invincible d’un être. On peut toujours le lire dans l’organe qui le distingue et auquel sont subordonnés tous les autres. Et de même qu’il est inscrit sur la langue, dans la bouche et dans l’estomac des abeilles qu’elles doivent produire le miel, il est inscrit dans nos yeux, dans nos oreilles, dans nos moelles, dans tous les lobes de notre tête, dans tout le système nerveux de notre corps, que nous sommes créés pour transformer ce que nous absorbons des choses de la terre en une énergie particulière et unique sur le globe. Nul être que je sache n’a été agencé pour produire comme nous ce fluide étrange que nous appelons pensée, intelligence, entendement, raison, âme, esprit, puissance cérébrale, vertu, bonté, justice, savoir. Tout en nous lui fut sacrifié. Nos muscles, notre santé, l’agilité de nos membres, l’équilibre de nos fonctions animales, la quiétude de notre vie portent la peine grandissante de sa prépondérance. » Ainsi se trouve défini notre devoir d’hommes. Nous ne savons où il nous mène ; mais ce que nous savons, sans en pouvoir douter, c’est qu’il nous appartient de le suivre.

Nous pouvons maintenant rentrer dans la cité des hommes : nous avons pour nous y diriger une idée lumineuse, une règle de vie. Le dernier ouvrage de M. Maeterlinck, Monna Vanna, n’est plus un drame pour marionnettes ; les personnages qu’il nous y présente sont des êtres de chair et de sang, ayant part aux intérêts qui, de tout temps, ont divisé les hommes et aux sentimens qui les ont tour à tour élevés ou humiliés. L’auteur a choisi pour nous les faire connaître un de ces momens de crise qu’affectionnaient nos tragiques, parce qu’il leur semblait qu’alors tout le contenu du caractère et toute l’action des circonstances s’y résumaient. Et ce qui fait la valeur de son œuvre, c’est justement que nous y reconnaissons les mobiles ordinaires de notre conduite, et que nous pouvons y vérifier la sûreté de sa psychologie. Le milieu est fourni par une de ces luttes sans cesse renaissantes entre les cités italiennes du XVe siècle. Pise est réduite aux dernières extrémités et va devenir la proie de Florence. Un condottiere au service de cette dernière, Prinzivalle, n’a plus qu’à donner le signal de l’assaut : les défenseurs de Pise, affamés, sans munitions, seront à sa merci. Les messages envoyés à Prinzivalle, pour tâcher de le fléchir, sont restés sans réponse. À ce moment, un des seigneurs de la ville, le vieux Marco, apporte la plus imprévue des nouvelles : Prinzivalle consent à épargner Pise : il fait plus, il lui offre les moyens de se sauver et de