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Telle est aussi bien la constatation me M. Maeterlinck a été un beau jour obligé de faire Et plutôt que de s’entêter dans un mysticisme désormais stérile, où ne l’attendaient qu’un alanguissement définitif et l’obscurcissement des dernières lueurs de l’idée, il a fait résolument un retour en arrière. « Il n’est pas déraisonnable, dit-il, mais il n’est pas salutaire d’envisager de cette façon la vie. » C’est indiquer d’un mot que le point de vue est totalement changé ; et le fait est que la philosophie de La Sagesse et la Destinée et du Temple enseveli est à peu près la contre-partie de celle du Trésor des humbles. Au lieu de s’attarder dans la contemplation décevante du mystère, par nonchalance et amour d’une tristesse morbide, l’auteur s’attache maintenant à ce qui peut s’expliquer par l’étude de l’homme et de la nature. Il faut faire sa part au mystère ; c’est-à-dire qu’il faut la lui faire aussi restreinte que possible. « Il ne faudrait invoquer le mystère, et se renfermer dans le silence résigné qui l’accompagne, qu’aux momens où son intervention est réellement sensible, frappante, personnelle, intelligente, morale et indubitable ; et cette intervention ainsi circonscrite est plus rare qu’on ne pense. Tant que ce mystère-là ne se manifeste point, il n’y a pas lieu de s’arrêter, de baisser les yeux, de se soumettre et de se taire. » Voilà les brouillards dissipés et la réalité coutumière restituée dans ses droits. « Il en est peu parmi nous, continue M. Maeterlinck, même parmi les plus mystiques, qui ne soient persuadés que notre malheur moral dépend au fond de notre esprit et de notre caractère, et nos malheurs physiques du jeu de certaines forces, souvent mal connues, mais qui pourtant ne sont pas totalement étrangères à ce que nous pouvons espérer de pénétrer un jour dans la nature. » Voilà leur place rendue à la morale et à toutes les sciences. « Oui, c’est une vérité que notre vie n’est rien, que l’effort que nous faisons est dérisoire, que l’existence de notre planète n’est qu’un accident misérable dans l’histoire des mondes ; mais c’est une vérité aussi que notre vie et que notre planète sont pour nous les phénomènes les plus importans dans l’histoire des mondes. » Et voilà donc l’écrivain ramené aux procédés de la psychologie, de l’histoire, de l’observation, comme aux seuls moyens qu’il ait de dire aux hommes une parole utile et qui vaille d’être écoutée.

Ces idées si opposées à celles où le penseur s’était arrêté jusqu’alors devaient, de toute évidence, éveiller chez le poète des images fort différentes de celles que nous avons trouvées dans les œuvres précédentes de M. Maeterlinck. Aux nuances indécises et grisâtres devaient succéder des teintes vives, claires, lumineuses. De là ce livre