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d’une pensée qui cherche et se modifie, d’un esprit qui porte en soi l’inquiétude des problèmes de l’âme et de la destinée.

Cette inquiétude morale qui est l’une des caractéristiques de l’œuvre de M. Maeterlinck, fait de celui-ci l’un des écrivains les plus intéressans d’aujourd’hui. Pour mériter tout à fait le nom de poète, il ne lui manque que de savoir écrire en vers. Il a d’ailleurs au plus haut degré le poétique « sens du mystère. » Non seulement il aperçoit le mystère aux confins de la vie, mais il le retrouve dans la vie tout entière, et il n’est aucun de nos actes les plus ordinaires qui ne lui paraisse tout imprégné de merveilleux. Il a en outre le don de traduire ses idées par des images habilement choisies et qui s’harmonisent exactement à la nuance de sa sensibilité. Une pièce de théâtre et jusqu’à un traité d’apiculture sont pour lui des symboles qui s’organisent, se développent, vivent de leur vie propre et nous induisent à penser.

La terreur de l’inconnu où nous vivons, tel a été pour M. Maeterlinck le point de départ : c’est le sentiment qui a donné l’éveil à sa faculté poétique et qu’il s’est efforcé de faire passer en nous. L’humanité est pour lui le troupeau des Aveugles qui, un certain jour, sous la conduite d’un vieux prêtre, se sont aventurés dans la campagne. Dans l’hospice, au milieu des choses familières, et sous la protection de l’habitude, ils supportaient assez aisément le malheur de leur infirmité ; mais la curiosité les a poussés à sortir de l’abri tutélaire. Ils s’inquiètent de ne plus entendre la voix du prêtre qui lui-même, depuis quelque temps, est devenu infirme et presque aveugle. Leurs questions angoissées et leurs appels restent sans réponse, jusqu’au moment où, s’apercevant que le prêtre est au milieu d’eux et qu’il est mort, ils restent sans guide, sans secours, tâtonnant désespérément dans la solitude et dans la nuit.

A l’arrière-plan de ces drames, où elles jouent le rôle de la fatalité antique, se devinent « d’énormes puissances invisibles et fatales, dont nul ne sait les intentions, mais que l’esprit du drame suppose malveillantes, attentives à toutes nos actions, hostiles au sourire, à la vie, à la paix, au bonheur. L’inconnu y prend le plus souvent la forme de la mort. La présence infinie, ténébreuse, hypocritement active de la mort remplit tous les interstices du poème. Au problème de l’existence il n’est répondu que par l’énigme de son anéantissement. Du reste c’est une mort indifférente et inexorable, aveugle, tâtonnant à peu près au hasard, emportant de préférence les plus jeunes et les moins malheureux, simplement parce qu’ils se tiennent moins tranquilles que les plus misérables et que tout mouvement trop brusque