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REVUE LITTÉRAIRE

LES DEUX MANIÈRES DE M. MAETERLINCK

On a souvent reproché aux pessimistes que leur doctrine les rend impropres à l’action. Car, si nous n’assignons à la vie aucune fin utile et bonne, si nous sommes persuadés que tous nos efforts demeureront stériles, si tout notre labeur ne doit aboutir qu’à nous convaincre de notre impuissance, à quoi bon nous consumer en agitations dont nous avons par avance mesuré l’inutilité ? Les pessimistes s’empressent de répondre que leur système s’applique aux fins dernières de la vie et à l’énigme du monde et qu’il ne saurait donc en aucune manière modifier nos rapports avec les êtres et avec les choses : loin d’être débilités par une telle conception, ils y puiseraient bien plutôt de nouvelles raisons d’agir et un plus énergique sentiment du devoir. Ces deux opinions ont tout l’air d’être contradictoires, et si M. Maeterlinck, qui jadis avait si ingénieusement illustré la première, prend aujourd’hui parti pour la seconde, c’est donc qu’il a changé d’avis. Il le reconnaît en toute loyauté, et même il le déclare, pour le cas où quelques-uns de ses fervens ne s’en seraient pas aperçus. Ayant eu récemment l’occasion de réunir, en vue d’une édition nouvelle, les petits drames par lesquels il débuta, il y a une dizaine d’années, il les a fait précéder d’une préface où il indique qu’il ne retrouve plus en lui l’état d’esprit où il était lorsqu’il les composa. A notre tour, il nous semble curieux de rechercher comment l’auteur de la Princesse Maleine et du Trésor des Humbles est devenu celui de la Vie des Abeilles, du Temple enseveli et de Monna Vanna[1]. Nous y aurons tout au moins le spectacle

  1. Maurice Maeterlinck, Théâtre, nouvelle édition, 3 vol. (Lacomblez) ; le Trésor des Humbles (Mercure de France) ; la Sagesse et la Destinée, la Vie des Abeilles, le temple enseveli, Monna Vanna (Charpentier).