et les autres en aient une. Est-ce faire injure à une notable partie de nos concitoyens, électeurs, candidats ou même députés, que de leur attribuer des opinions politiques trop simples pour les soumettre à l’analyse, et en tous points semblables à celles de ce maire de village dont Edmond About nous a laissé le véridique portrait : « Pour moi, disait ce respectable magistrat, j’ai toujours été au mieux avec M. le Préfet, bien qu’il ait souvent changé depuis quarante ans que j’ai l’écharpe municipale. »
Cette part faite à l’erreur et à l’arbitraire, essayons à notre tour de donner notre statistique électorale. Contrairement à ce qu’on fait généralement, nous nous en tiendrons aux résultats indiqués par le premier tour de scrutin, car ce n’est qu’au premier tour que l’électeur manifeste librement et sincèrement son opinion. Tel n’est pas, je le sais, l’avis des docteurs de la loi. On dit même qu’au premier tour l’électeur vote pour un homme et au second tour pour une idée, et que, par conséquent, le deuxième vote a une valeur supérieure à celle du premier. C’est peut-être vrai en théorie, mais, dans la pratique, c’est absolument inexact, et tous ceux qui ont suivi des campagnes électorales le savent fort bien. Au premier tour, chaque électeur vote pour son candidat préféré ; au deuxième tour, il vote contre le candidat du voisin. De là des coalitions invraisemblables qui dénaturent complètement la portée du vote. Aussi l’Angleterre n’a-t-elle jamais voulu chez elle du système des ballottages, et la Belgique, après l’avoir longtemps pratiqué, vient de l’abandonner.
Au premier tour de scrutin, 8 420 000 suffrages exprimés se sont répartis sur plusieurs milliers de candidats. Nous partagerons ces candidats en deux groupes : les radicaux socialistes, d’une part, et les modérés de toutes nuances, de l’autre. Il est en effet complètement inutile, à l’heure actuelle, de recourir aux subdivisions classiques, depuis les légitimistes jusqu’aux anarchistes révolutionnaires. L’heure n’est plus à ces fantaisies démodées.
Une répartition impartiale et aussi rigoureuse que possible des candidats entre ces deux groupes nous donne les résultats suivans[1] :
- ↑ Voici comment nous avons effectué cette répartition : nous avons d’abord mis à part les 575 candidats qui sont arrivés à la Chambre Nous avons classé parmi les radicaux les 299 députés qui, le 12 juin, ont voté l’ordre du jour Jaurès en faveur du cabinet. À ces 299 députés, nous en avons ajouté 30 autres, pris parmi les 159 abstentionnistes, qui ont notoirement manifesté leurs opinions par leurs votes et leur attitude dans la campagne d’invalidation qui s’est poursuivie pendant les mois de juin et de juillet ; soit déjà un total de 329 radicaux contre 246 modérés.
Pour les candidats non élus, le classement était plus délicat à faire, nous avons presque toujours suivi les indications du Temps et des Débats, les complétant au besoin l’un par l’autre. Nous avons groupé ensemble les candidats qualifiés conservateurs, ralliés, modérés, libéraux, etc., et mis d’autre part ceux dénommés radicaux, ministériels, socialistes, révolutionnaires, etc. Pour les républicains sans épithète, nous avons considéré à part ceux qui avaient appartenu à la dernière Chambre, classant parmi les radicaux ceux qui avaient voté pour le cabinet Waldeck-Rousseau (notamment dans la loi contre les associations), et parmi les modérés ceux qui avaient voté contre. Pour les autres, nous les avons considérés comme des radicaux lorsqu’ils se présentaient contre un modéré, et comme des modérés dans le cas contraire. Enfin, en ce qui concerne les nationalistes, nous avons fait une sélection analogue, classant parmi les modérés les candidats qualifiés nationalistes sans épithète ou républicains nationalistes, et parmi les radicaux les candidats qui s’intitulaient radicaux-nationalistes, socialistes-patriotes, etc.