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lundi, en descendant, avec les ingénieurs, dans une fosse. — J’ai joué à sou, j’ai joué à line[1]. » Heureux âge : plus taj-d, quand ils ont seize ou dix-huit ans, à la même question, ils se contentent de répondre : « Je me suis amusé ; » ils n’osent déjà plus si innocemment dire à quoi. Poussons notre interrogatoire : « Ah ! tu t’es amusé, et comment ? Combien avais-tu ? » La somme varie de vingt centimes à trente sous : ceux qui ont eu trente sous pour leur dimanche sont regardés, et enviés, comme des capitalistes. « — On a été à l’estaminet. — Qui, on ? Avec qui ? — Avec mon frère (15 ans et 16 ans et demi). — Qu’est-ce que vous avez bu ? — Des chopes. — Peste ! des chopes ! Combien ? — Deux. — Et vous avez fumé la pipe ? — Oh ! non, des cigarettes. — Puis, vous avez dansé ? — (Grosse hilarité de l’inculpé, non sans arrière-pensées et sournoiserie : il doit voir un tas de choses dans la danse ou après la danse.) — Pas encore ; dans un an ou deux. »

Mais ils ont beau rire, ceux-ci les jeunes, et ceux qui ne sont plus jeunes ; je ne dis pas les vieux ; leurs amusemens sont sans gaîté, alourdis de vapeurs de bière et d’odeur de tabac, plats et noirs comme le pays, embrumés comme le ciel, embués, encrassés comme l’estaminet. Toute cette joie du dimanche est factice, est triste et attriste. Mais, parce qu’ils ont « fait dimanche, » beaucoup ne peuvent pas ne pas « faire lundi : » le lundi, un quart peut-être du personnel ne se présente pas, ou, s’il se présente, est là comme s’il n’y était pas, ne travaille que dans l’hébétude ; la production quotidienne est sensiblement moins forte, et c’est, par-dessus le chômage total du dimanche, un chômage partiel du lundi.


III

Le travail, qui, par sa durée, paraît moins pesant dans les mines que dans les autres industries (mines : journée moyenne, 9 h. 1/4 ; travail des pierres et terres au feu, verreries, faïenceries, 10 h. 1/4 ; métallurgie et construction mécanique 10 h. 1/2 ; industries textiles 10 h. 3/4) ; le travail y est-il en revanche plus pénible par son intensité ? C’est la seconde question à examiner, et, pour la résoudre, il faudrait d’abord définir ce qu’est au juste « l’intensité » du travail, mot vague, et, si c’est la fatigue qu’il impose à l’ouvrier, trouver un moyen sûr de mesurer et de comparer la peine qu’exigent les divers travaux.

  1. Aux sous, à la ligne.