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ne se serait jamais résigné à ne demander qu’à son pays natal la richesse et la diversité des élémens pittoresques semés dans ses œuvres avec une si généreuse prodigalité.

Un admirateur fervent de Titien, M. J. Gilbert, a cependant cherché et il pense avoir trouvé dans la patrie même du peintre, à Cadore et aux environs, les sites qu’il aurait reproduits fidèlement dans ses paysages. A l’appui de cette découverte, il a publié dans un livre, d’ailleurs très intéressant[1], des croquis assez sommaires, faits par lui d’après nature et dont il croit reconnaître une représentation positive dans les tableaux du maître. Les photographies que nous avons recueillies et les dessins que nous avons nous-même pris sur place au cours d’un voyage récent dans cette région, rapprochés d’autres photographies de ces mêmes tableaux, ne nous ont point paru se prêter aussi complaisamment à l’identification précise des localités désignées par M. Gilbert. Si parfois dans cette excursion nous avons rencontré quelques analogies entre certains paysages de Titien et certains aspects que nous offrait la réalité, ces analogies demeurent toujours assez vagues. Ce sont des réminiscences, jamais des portraits. Tout au plus est-il permis de signaler ça, et là des ressemblances assez nettement accusées, par exemple entre la silhouette des montagnes qui occupent le fond de la Présentation au Temple et celle d’une partie du massif des Marmarole qui ferment vers le nord l’horizon de Pieve di Cadore. Enserrée dans un cercle restreint de montagnes très élevées[2], cette contrée est d’un caractère tout à fait alpestre et sauvage qui n’apparaît jamais dans les paysages de Titien. Jamais, en effet, l’artiste n’a représenté l’aspect étrange qu’offrent quelques-uns de ces pics, avec la dentelure bizarre de leurs cimes et les neiges dont elles sont couronnées. Si parfois on les rencontre dans ses dessins, comme des motifs qui l’ont frappé et qu’il a notés au passage, d’ordinaire il ne les a pas introduits dans ses tableaux. Durant toute sa vie, il est vrai, il n’a pas cessé de venir, à des intervalles assez rapprochés, dans sa ville natale. Il possédait des

  1. Cadore or Titian’s Country ; Londres, 1869.
  2. Les altitudes de ces montagnes varient, de 2 500 à plus de 3 000 mètres. Nous notons, en effet, dans une publication récente du club alpin italien les chiffres suivans pour les montagnes les plus proches de Pieve di Cadore : Cridola, 2 581 mètres ; Durano, 2 668 mètres ; Marmarole, 2 983 mètres ; Cristallo, 3 190 mètres ; Sorapiss, 3 229 mètres ; Antelao, 3 263 mètres, et Pelmo, 3 169 mètres (Guida del Cadore, par Ott. Brentani : Milan, 1896).