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lui a valu cette appellation, — quoique formé à l’école de Murano et disciple de Luigi Vivarini, répudiant ses premiers enseignemens, manifeste dans les œuvres de sa maturité une observation toujours plus pénétrante de la nature. En même temps que la pratique de la peinture à l’huile lui permet de donner plus de fraîcheur aux carnations de ses figures, il en rehausse encore l’éclat par l’aimable verdure des paysages sur lesquels elles se détachent. Sa Vierge entourée de saint Jean-Baptiste et de la Madeleine (musée du Louvre) nous montre, sous un ciel d’azur, la perspective largement ouverte de cette vallée de la Livenza où est située la ville natale de l’artiste, avec les blanches murailles de Conegliano et le vieux château qui la domine. Mais, retenu encore par un reste de respect pour les traditions, le peintre a cru nécessaire d’introduire parmi ces simples horizons quelques-uns de ces rochers bizarrement découpés ; qu’affectionnaient ses prédécesseurs et au sommet desquels il étage comme eux des habitations inaccessibles et des ponts qui ne conduisent à rien.

Plus encore que chez Cima, nous devons signaler un écart entre les œuvres de la jeunesse de Marco Basaiti et celles de ses dernières années. Elève et collaborateur de Luigi Vivarini, Basaiti avait ensuite reçu les enseignemens de Giovanni Bellini. Autant il montre d’abord de sécheresse et de raideur dans ses figures de saints rangés en bon ordre autour de la Madone, autant, plus tard, il aime à étudier la nature et s’inspire de ses plus humbles motifs, soit que, dans la Vocation des fils de Zébédée (Académie des Beaux-Arts à Venise et musée de Vienne), il représente les deux apôtres dans un paysage montagneux, quittant leurs barques amarrées sur les bords d’un lac ; soit que, plus simple et plus touchant encore, il donne pour fond, à sa Vierge adorant l’Enfant Jésus (National Gallery), un coin paisible du Frioul, avec un village flanqué de tours et doré par les rayons du soleil, et, sur les rives d’un cours d’eau où s’espacent quelques arbres grôles, des pâtres avec des vaches qui broutent ou se reposent, tandis que, vers la gauche du tableau, — peut-être comme une allusion à la Vierge victorieuse du péché, — une cigogne aux ailes déployées attaque vaillamment un serpent qui dresse contre elle sa tête menaçante. Rien ici, sans doute, ne rappelle la Palestine, ni le Jourdain ; mais cette douce image d’une mère en contemplation de son enfant