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essaie de se dérober par la fuite aux coups d’un autre meurtrier, à deux pas de là s’étend une contrée insolemment tranquille, en désaccord absolu avec ce sanglant épisode. Sous les frais ombrages d’arbres dont les troncs pressés laissent entrevoir l’horizon, parmi les gazons émaillés de fleurs de toute sorte, des bûcherons élaguent les branches mortes ou fendent les vieilles souches, tout entiers à leur paisible travail. Ils ont apporté avec eux leur frugal repas, et leur besace, ainsi que le tonnelet qui contient leur boisson, sont suspendus à un arbre voisin. A côté, à l’ombre, un âne déchargé de son bât et un pâtre avec son chien, gardant quelques brebis. Plus loin, à gauche, auprès d’un puits, un autre pâtre s’entretient avec une femme tandis que ses vaches regagnent lentement le petit bourg dont l’enceinte fortifiée, les tours, les maisons et l’église s’étagent au penchant d’une colline. A l’horizon, des montagnes lointaines se détachent doucement sur un ciel pur, égayé par de légers nuages. Tout respire le calme, la sérénité, la joie d’une belle journée dans une heureuse campagne ; tout jure avec l’action sanglante étalée au premier plan, et l’on chercherait vainement une explication tant soit peu plausible d’une pareille anomalie. Celle qu’on essaierait de trouver dans l’indifférence, ou même le défi injurieux que la nature semble opposer parfois à nos sentimens, serait bien subtile pour cette époque. Au lieu d’une intention marquée de l’artiste, nous croyons qu’il convient de voir un simple effet du hasard dans un tel rapprochement. En tout cas, à ne considérer que le paysage, abstraction faite du sujet, il est, comme exécution, une véritable merveille. L’air circule librement à travers les arbres, et leur feuillage dru et luisant, d’un vert magnifique, bien qu’étudié minutieusement, paraît à distance d’un modelé très large et traité par grandes masses. Un riche tapis de fleurs et de plantes de toute sorte croît sous leur ombre épaisse : des pâquerettes, des géraniums des prés, des fraisiers dont les fruits commencent à rougir. Tout cela caressé, détaillé amoureusement, forme un ensemble d’une harmonie à la fois puissante et délicate. Le peintre, satisfait de son étude, non seulement a tenu à l’utiliser sans trop se soucier d’un assemblage aussi disparate, mais corn plaisamment et en belle place il a signé son œuvre sur une banderole de papier enroulée autour d’une branche morte, au premier plan. C’est une étude du même genre, mais mieux appropriée cette fois au caractère