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LE PAYSAGE
CHEZ LES MAÎTRES VÉNITIENS


I

Si pénétrant et si vif qu’ait été chez les Flamands primitifs et chez les peintres de l’Ombrie le sentiment de la nature, c’est au nord de l’Italie qu’il s’est manifesté avec le plus d’éclat, et Venise doit être considérée comme le véritable berceau du paysage. La situation même de cette ville semblait lui réserver ce privilège. Alors qu’au moyen âge les autres cités italiennes, avec la haute enceinte de leurs remparts et leurs palais austères, le plus souvent enserrés en d’étroites ruelles, n’avaient devant elles qu’un horizon très limité, à Venise, au contraire, la vue s’étendait de tous côtés sur la mer, sur les lagunes et sur la plaine immense de la terre ferme, dominée par les cimes lointaines des Alpes. La transparence lumineuse de l’atmosphère ajoute au charme de cette contrée, et la ville elle-même, avec l’architecture originale de ses monumens, est une joie pour le regard. Sur la place Saint-Marc, où se concentre son activité, on dirait qu’on a voulu résumer toutes ses magnificences, tant les formes et les colorations y montrent de richesse et de diversité. Murailles roses du Palais ducal, marbres jaunis de son portail, blanches coupoles de l’église et mosaïques dorées de ses frontons ; à côté, la mer et la pointe basse du Lido, l’île de San Giorgio, la Salute et la Dogana di mare faisant perspective ; le long des quais, les barques de l’Istrie avec leurs voiles peintes et leur chargement pittoresque