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trompe. On connaît le cas d’une mère abeille qui, ayant failli se noyer, fut ranimée grâce aux soins empressés que lui prodiguèrent les ouvrières accourues à son aide. Une fourmi que le naturaliste Latreille avait privée de ses ailes fut soignée par ses congénères, qui couvrirent ses blessures de leur salive. Dans leurs batailles, les fourmis emportent les blessées et les soignent. Plusieurs espèces animales ont l’habitude d’adopter les orphelins. Le singe, — le mâle aussi bien que la femelle, — adopte et élève toujours les petits orphelins avec la plus grande sollicitude.

L’obéissance aux chefs, aux plus forts ou aux plus expérimentés, est strictement observée dans plusieurs communautés animales. Les éléphans, par exemple, vivent en troupes sous la conduite d’un chef choisi parmi les plus sagaces et les plus prudens. Celui-ci règne par la confiance qu’il inspire et par la douceur. Vient-il à commettre quelque faute qui a mis la troupe en péril, on le remplace immédiatement par un autre. La notion de justice existe chez les abeilles, les fourmis, les cigognes, l’éléphant et chez quelques singes ; l’éléphant la possède même à un degré remarquable. Cette notion, sans laquelle la conservation et le progrès de l’association seraient impossibles, est d’ailleurs « une des premières à se former. » On sait que, si un troupeau de bœufs sauvages s’éparpille dans une plaine herbeuse, des sentinelles veillent à la sûreté commune. Au sommet d’un dôme de termites, sur un tronc d’arbre abattu, ces sentinelles scrutent l’horizon, prêtes à donner l’alarme si elles voient ou sentent quelque fauve. « En un clin d’œil, les vaches et les bœufs se réunissent alors, et les taureaux prennent place alentour, présentant à l’agresseur un rempart de cornes menaçantes. » Ces vigies, renonçant pour un temps à satisfaire leur appétit, font à l’intérêt général un sacrifice. A leur tour, d’autres viendront occuper le poste de surveillance, afin que les premiers satisfassent à loisir leur faim. C’est un exemple de mutualité. Les buffles en troupeaux se défendent contre le tigre, se le renvoient à coups de cornes et le tuent rapidement. Les chevaux en société repoussent aussi les carnassiers, auxquels ils ne pourraient qu’avec peine résister individuellement. Les hirondelles, les grues, tous les oiseaux migrateurs ne peuvent traverser d’immenses espaces qu’en s’aidant mutuellement et en faisant le voyage par grandes bandes. Les perroquets, les antilopes, les