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semaines, lorsqu’elles pourraient vivre facilement une ou même plusieurs années. Lubbock a vu des fourmis captives dépasser l’âge de huit ans et même de douze[1]. Les fourmis n’hésitent pas à risquer et à sacrifier leur vie pour défendre des camarades, ou pour sauvegarder l’intérêt de la communauté. On les voit souvent se jeter à l’eau et se noyer volontairement afin de faire de leur corps un pont pour leurs compagnes. L’assistance mutuelle est la règle dans les fourmilières. Une fourmi s’épuise-t-elle à traîner un trop lourd fardeau, une compagne qui était légèrement chargée s’arrête, dépose son propre fardeau, saisit une des extrémités de la charge trop lourde, aide au transport, puis revient à sa propre charge. Des ouvriers travaillant ensemble ne feraient pas autrement. On connaît aussi tous les exemples de secours aux fourmis blessées ou infirmes. Un jour, Belt observait une colonie de fourmis (Eceton humata) et plaça une petite pierre sur l’une d’elles. Dès que la fourmi la plus voisine s’en fut aperçue, elle retourna en arrière, très excitée, et avertit les autres fourmis. Toutes vinrent à la rescousse et finirent, en unissant leurs efforts, par délivrer la prisonnière. Une autre fois, Belt couvrit une fourmi de terre, ne laissant dépasser que la tête. Une autre fourmi, qui passait, aperçut la patiente et, ne pouvant la tirer d’affaire, s’éloigna. Belt croyait qu’elle avait abandonné sa compagne ; elle était seulement allée à la recherche de renfort. « Elle reparut bientôt avec une douzaine de compagnons, tous évidemment au courant de la situation, car ils vinrent droit au prisonnier et l’eurent bientôt délivré. Il me semble qu’il y avait là plus que de l’instinct. » Selon Huber, quand il s’agit de défendre la république, abeilles et fourmis atteignent les limites extrêmes de l’héroïsme : « On sait qu’on peut partager les fourmis en deux par le milieu du corps sans leur ôter l’envie de défendre leurs foyers. La tête et le corselet marchent encore et portent les nymphes dans leur asile. » J. Franklin rapporte que deux éléphans indiens, poursuivis par des chasseurs, étant tombés dans une de ces fosses couvertes de branches que l’on creuse pour leur capture, l’un des animaux parvint à se hisser hors du trou et ne songea pourtant pas à fuir avant d’avoir porté secours à son compagnon, qu’il aida à sortir en lui tendant sa

  1. Lubbock, Fourmis, guêpes et abeilles, 2 vol. Paris, 1880 ; F. Alcan.