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peuvent se développer, s’élever bien au-dessus du niveau qu’atteignent des espèces plus humbles et trop rapidement développées. Chez les animaux à sang chaud, le soin des parens, qui n’était d’abord qu’une attention instinctive, se transforme en sollicitude consciente, en affection. Dans l’humanité, qu’est-ce qui caractérise les races les plus inférieures ? Une faible sollicitude des parens pour les enfans, la maturité précoce des enfans (forcés de mûrir le plus tôt possible et par eux-mêmes, si bien que disparaissent ceux qui s’attardent trop et se montrent moins bien doués pour un développement immédiat), enfin l’éducation défectueuse, conséquence dernière de tout le reste. Chez les races supérieures, au contraire, la sollicitude des parens est très forte et le résultat est un progrès sous tous les rapports[1]. Les biologistes arrivent ainsi eux-mêmes à cette conclusion capitale : le développement de l’altruisme, notamment de l’altruisme des parens, est une condition nécessaire non seulement du progrès moral, mais tout aussi bien du progrès intellectuel et matériel.

Ils aboutissent à la même conclusion en partant de l’altruisme conjugal. Là où l’amour mutuel est plus fort entre les deux sexes, la coopération est plus grande et plus durable, la division des travaux mieux déterminée, l’intelligence plus perfectionnée et plus variée, les enfans mieux élevés et plus intelligens, enfin le bien-être matériel plus considérable[2].

Mais c’est dans la vie sociale proprement dite que se produit surtout le perfectionnement et l’élargissement de la vie individuelle, qui finit par déborder les limites étroites du moi. Les représentations ou idées 1o d’animaux semblables, 2o de sentimens semblables par eux éprouvés, 3o d’actes semblables par eux accomplis finissent par former une sorte de représentation générique, qui fait partie intégrante de la conscience animale et y produit ses effets propres. La conscience de chacun enveloppe donc un moi individuel et un moi collectif, tous deux en rapport constant, si bien que le second même devient un élément essentiel de la vie personnelle.

Si les différens individus qui composent les sociétés n’étaient

  1. V. Sutherland, the Origin and Growth of the moral instinct, Londres, 1898.
  2. Je lisais dernièrement dans une feuille socialiste que la famille est « une convention, » comme la propriété et la patrie. On voit ce qu’il faut penser de cette doctrine, au nom de la science naturelle elle-même, sans parler de la science morale.