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sexuel ; mais, de tous les faits qui précèdent, on n’en peut pas moins conclure que la faim proprement dite n’est pas vraiment le fond de l’existence, que la direction vers soi n’est, ni objectivement, ni subjectivement, l’orientation unique de l’être vivant ; que, dans les organes internes eux-mêmes et dans la vie « organique » de Bichat ou de Schopenhauer, il y a déjà place pour les relations à autrui ; que la biologie, en un mot, ne justifie nullement les conclusions immorales qu’on en veut tirer, mais nous montre plutôt l’effort universel des êtres pour franchir l’égoïsme.


III

C’est un point important, dans la morale de la vie, que de savoir comment naît la société entre les animaux, si elle a pour origine l’égoïsme ou, au contraire, la sympathie. Nous avons déjà d’avance répondu à cette question, mais il faut préciser davantage. Les animaux semblables sont l’un pour l’autre l’objet de représentations où chacun, à la fin, reconnaît quelque chose d’analogue à lui-même, à ses parens, à ses frères, à ses premiers camarades. Or, toute idée ou représentation, selon la loi des idées-forces, tend à s’exprimer dans les organes et est une action commencée ; elle enveloppe, en outre, un sentiment agréable, d’autant plus grand que l’action est plus facile et qu’il y a augmentation finale d’activité. Donc, pour un animal, la représentation d’un animal semblable sera plus facile et plus familière, conséquemment plus agréable, plus voisine d’une sorte de miroir où le moi se retrouve et se reconnaît. De là résulte, dès l’origine, cette sympathie du semblable pour le semblable que nous avons rappelée tout à l’heure. C’est un point que M. Espinas a magistralement démontré. Ses remarques sur les sociétés animales nous semblent une éclatante confirmation de la loi des idées-forces. Par une conséquence de la même loi, un animal a d’autant plus de peine, parlant, de déplaisir à se représenter un autre animal, que celui-ci est plus éloigné de lui dans l’échelle (pourvu que la comparaison reste possible) ; ainsi, dit M. Espinas, un singe, en présence d’un caméléon, montre la terreur la plus comique. Entre les divers membres du groupe d’animaux semblables, l’unisson sensitif étant plus facile et plus rapide, la vue du plaisir de l’un engendre le plaisir de l’autre. De même, un cri de douleur éveille un sentiment de douleur et d’effroi. De