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un progrès plus grand encore, à une production de nourriture, comme chez les abeilles qui élaborent le miel. Il en résulte que la division de travail et la coopération vont croissant. Les deux mobiles de cet accroissement sont, au point de vue objectif, l’utilité réelle qui en résulte ; au point de vue subjectif, la sympathie. Sans avoir besoin de calculer leur intérêt, les animaux, en sympathisant, atteindront leur plus grand intérêt. L’oubli même de l’utilité deviendra une condition pour l’assurer : plus les membres d’une association seront unis par une sympathie spontanée, capable de leur faire faire abstraction de toute représentation de l’utile, plus ils coopéreront de fait à l’œuvre objective d’utilité commune. Leur « altruisme » individuel sera le meilleur moyen de bien collectif, ou, si l’on veut, d’égoïsme collectif ; mais ce mot d’égoïsme implique un calcul dont La Rochefoucauld et Nietzsche n’ont compris ni ! a superfluité ni même le danger. Il n’y aura pas vraiment égoïsme intentionnel, même chez la collectivité, mais il y aura réel progrès de sympathie mutuelle, d’utilité collective et de bonheur collectif. De la tendance à vivre, sinon pour soi (ce qui implique un calcul ultérieur), du moins en soi, sera sortie peu à ce peu la tendance à vivre en autrui, puis, par un progrès dernier de la faculté représentative et de la faculté sympathique, la tendance à vivre pour autrui. La vraie morale de la vie, même animale, se dessine de plus en plus : elle n’est pas celle de La Rochefoucauld, ni celle de Nietzsche.

Si, en partant de la nutrition, où semblait devoir dominer à jamais le féroce égoïsme de la faim, adoré de Hobbes, nous avons fini par rencontrer l’amour ; que sera-ce si nous prenons pourpoint de départ la génération même ?


II

La provision fournie à la faim du « protoplasme, » dans le cours de la vie, est le plus souvent supérieure aux nécessités du moment ; il reste donc, après la réparation, un excédent de matériaux pour une construction nouvelle. Cette construction constitue la croissance, essentielle à l’acte même de la vie. Mais la croissance de la cellule a une limite. Quand cette limite est atteinte, la cellule se divise et forme ainsi un être nouveau, une nouvelle cellule. Chez les « métazoaires, » cette division des