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coopération, qui augmentent l’efficacité de la fonction nutritive. Comme les cellules bien nourries produisent d’autres cellules, qui leur sont accolées et qui ont des besoins analogues, ce voisinage entraîne déjà par lui-même un certain consensus, qui va en augmentant, jusqu’à division finale du travail avec collaboration. La solidarité pénètre ainsi dans la nutrition même et finit par faire retentir en chaque cellule le bien-être ou le malaise des autres cellules. Toutes accomplissent ensemble une série à la fois divisée et ordonnée de mouvemens. L’individu vivant différencie et ordonne ses propres organes par l’habitude, il finit par réaliser et fixer dans son corps la division même des tâches : l’œil aperçoit la proie, l’organe de locomotion permet de courir après elle, l’organe de préhension permet de la saisir. L’organisme « multicellulaire » réalise ainsi une association interne de cellules avec division des travaux et coopération ultime ; voilà déjà l’accord dans la vie et pour la vie.

Plus tard, — et c’est ici une loi importante, — la division et la coopération, après avoir été intra-individuelles, tendent à devenir inter-individuelles. Voici plusieurs êtres rapprochés dans l’espace et surtout rapprochés par la génération même, qui a fait sortir les uns des autres et, par conséquent, les a déjà associés jusqu’à un certain point avant même qu’ils eussent une pleine existence individuelle ; que ces êtres éprouvent simultanément des besoins analogues, ils en viendront à sympathiser mécaniquement et physiologiquement, puis à s’imiter l’un l’autre dans leurs actions en vue d’un même but. Et ces actions, d’abord indépendantes, tendront à se solidariser, à s’unir, parce que l’union est une multiplication de forces, par exemple devant un ennemi commun. Un seul n’eût pas résisté, plusieurs résistent et triomphent. Ils ont éprouvé un même sentiment de peur, une même impulsion défensive, et l’unité de l’objet a mécaniquement uni les divers efforts en les faisant converger vers un même point. Ainsi se produit derechef une division du travail et une coopération, non plus seulement au sein d’un même vivant, mais entre plusieurs vivans. Il y a accord, soit pour la nutrition, soit pour la lutte et la défense, soit pour l’action en général ; il y a donc, de plus en plus, entente pour la vie. Vous voyez poindre la morale animale.

Chez les animaux supérieurs, la nutrition aboutit à s’approprier et à mettre de côté des provisions. Elle aboutit même, par