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d’ardeur qu’elle en avait apporté dans la guerre, aussi empressée de redevenir prospère qu’elle l’avait été de se rendre indépendante, aussi avide de « jouir de la Révolution, » que, naguère, de l’accomplir, de la défendre, et de la propager. Bonaparte la poussait aux métiers. Il entreprenait, partout à la fois, de renouveler l’outillage du labeur national : routes, canaux, ports. Les chantiers maritimes se couvraient d’échafaudages énormes ; on voyait s’élever des carcasses de vaisseaux. Il n’était bruit que d’expéditions maritimes, pour les « Iles, » pour la Louisiane, pour l’ile de France, Madagascar, les Indes ! Mais tout était à reconstruire, à réorganiser, les navires et les équipages. La guerre maritime eût tout rompu. Bonaparte croyait pouvoir gagner le temps de se mettre en mesure ; il tenait le continent par les affaires d’Allemagne, immense marché de terres et d’hommes qui allait s’ouvrir. « Prétendre que la France ait une marine égale à celle de l’Angleterre avant dix ans, c’est une chimère, » écrivait-il à Decrès[1]. La France y épuiserait ses ressources, et, pour gagner sur mer une prépondérance qu’elle n’obtiendrait point, elle négligerait son armée et compromettrait sa prépondérance sur le continent, car, si la guerre recommence avec l’Angleterre, c’est encore sur le continent que la France la devra terminer. Mais il faudra, ce faisant, distraire les Anglais par des diversions. Il ne prévoit pas que l’Angleterre rompe la paix avant l’an XIII — septembre 1801, — et il estime qu’alors elle sera trop occupée, dans les Indes, en Amérique, sur ses propres côtes, pour maintenir plus de trente-cinq vaisseaux dans la Méditerranée. « Ce que nous pouvons donc espérer, c’est, avant dix ans, de pouvoir lutter avec quelques chances de succès, la France, l’Espagne et la Hollande se trouvant réunies. » Les trois nations auraient en mer cent vaisseaux. Les Anglais seraient tenus en respect, et, « avec un peu de prépondérance sur terre, il serait facile, à la seconde campagne, de rendre inutile son intervention dans la Méditerranée. » Alors, « maîtres de Venise, » ce qui serait l’effet de la première campagne, « assurés de la neutralité de Naples ou maîtres de cette ville, l’Angleterre n’aurait point d’intérêt à sacrifier cent millions pour rester sans but maîtresse de la Méditerranée. »

La paix ainsi prolongée devait tourner à la suprématie de la

  1. Note pour le ministre de la Marine, 1802. Correspondance, n° 5968.