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un nouveau marché à nos manufactures, mais pour intéresser plusieurs classes nombreuses à la conservation de la paix. » Puis, espérant flatter l’imagination du Premier Consul, il insinue l’idée d’un immense condominium du monde : « Il nous est impossible de vous nuire essentiellement. Vous êtes destinés à être sur le continent la puissance prépondérante, comme nous le sommes sur mer. »

C’est que le traité va être mis en délibération au parlement. Il faut trouver des argumens à opposer aux critiques, d’une violence croissante, qui s’élèvent de toutes parts. « Le ministère, écrit Otto, se croit fort sur tous les points, à l’exception de ceux qui touchent le commerce… L’opinion générale en Angleterre est que la paix ne sera qu’une trêve, si le commerce de l’Inde n’est pas établi sur des bases équitables ; si les douaniers et la contrebande des deux nations continuent à se faire la guerre à mort ; si, dans ce siècle où tout est nouveau, le code politique et commercial ne subit pas une réforme totale ; si de nouvelles maximes ne sont pas mises à la place de celles qui ont constamment compromis le repos des nations… M. Addington voit, de même que nous, qu’il serait absurde de songer à un traité de commerce ; mais il désire ardemment se rapprocher graduellement de nous par des échanges partiels et limités, par de simples essais à terme fixe ou révocables à volonté. » Mais, sur ces « préliminaires » de commerce, on n’arrivait point à s’entendre. Hawkesbury demandait, « avec une sorte d’inquiétude, » à Otto s’il « n’avait aucune réponse aux ouvertures qu’il l’avait prié de faire à ce sujet[1]. »

On ne parlait déjà plus de traité. L’acte d’Amiens était qualifié de trêve. « La paix honteuse perd ses adorateurs, écrivait l’ambassadeur de Russie, Simon Woronzof ; on s’aperçoit qu’elle est mauvaise. » On colportait ce propos de Nelson : « Peu importe comment on pose le tisonnier. Si Bonaparte disait : il faut qu’il soit placé dans ce sens, nous devrions aussitôt insister pour qu’il fût placé dans un autre. » Le 8 avril, Pitt rencontra Malmesbury : « Avec Bonaparte, lui dit-il, nul traité ne peut être sûr. Cependant on a bien fait de traiter avec lui. L’Angleterre avait besoin d’un repos, si court fût-il. Mais, bien que l’opinion soit à la paix, il faut que tout ait l’air d’être à la guerre, dans notre

  1. Rapport d’Otto, 2 mai 1802.