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Vitré et ailleurs, est constamment appelée la Borderie. C’est peut-être parce que je suis roturier, petit bourgeois de Vitré, pour parler comme M. Thiers, si parva licet, c’est pour cela ou pour une autre raison que j’ai toujours regardé les articles héraldiques et généalogiques comme ayant pour l’histoire, la vraie histoire, un très mince intérêt. Cela flatte l’amour-propre des gentilshommes, et encore plus de ceux qui ne le sont pas et se donnent le ridicule de le paraître. »

Il aurait donc fait partie du tiers à l’Assemblée nationale de 1789. Il fit partie de la droite à l’Assemblée nationale de 1871, car, s’il avait l’esprit républicain, c’était à la façon de Chateaubriand ; il n’aimait pas la République, telle que l’invasion et la Commune l’avaient faite : il aurait préféré une monarchie représentative appuyée sur la religion et la liberté, l’idéal du Breton de l’ancien régime, et ce ne fut pas sa faute si cette forme de gouvernement ne nous fut pas donnée par l’Assemblée de Versailles.

J’ai dit qu’il était vif et qu’il avait le croc dur, je dois ajouter qu’il savait reconnaître ses torts. Quand il siégeait sur les bancs de l’Assemblée nationale, il s’était fait une spécialité d’interrompre les membres du gouvernement ou les orateurs de la gauche avec ces mots stéréotypés : Et la Commune ! Un jour que Jules Simon était à la tribune, il s’oublia jusqu’à lui jeter deux ou trois fois cette exclamation au visage. Jules Simon ne l’entendit pas ou fit celui qui ne l’avait pas entendue. Mais, quelques années plus tard, M. de la Borderie, qui était rentré dans la vie privée et qui avait admiré l’attitude de l’ancien ministre de M. Thiers dans la discussion du projet de loi Ferry contre la liberté de l’enseignement, M. de la Borderie se reprocha de lui avoir manqué dans cette circonstance et me fit demander par un ami commun de vouloir bien lui ménager un entretien avec Jules Simon, à qui, disait-il, il voulait faire ses excuses. Je m’acquittai de cette mission et j’assistai à cet entretien. Il fut ce qu’on devait attendre de ces deux Bretons de race, mais je crois bien que celui qui fit des excuses à l’autre fut Jules Simon.

Tel fut le dernier historien de la Bretagne. Qu’on s’étonne après cela que, lorsqu’il mourut, la ville de Rennes, où il fut enterré, lui ait fait des obsèques royales et que tout le pays breton porte encore son deuil.


Léon Séché.