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après la réunion du duché à la couronne, elle fut le dernier boulevard de l’indépendance bretonne.

Et d’ailleurs, Nominoë avait si peu de confiance dans l’esprit qui régnait parmi les populations riveraines de la Loire que son premier soin, après s’être fait couronner à Dol, fut, comme nous l’avons vu plus haut, de couper le lien qui unissait les évêchés bretons au métropolitain de Tours et de former avec eux une province ecclésiastique à part, dont le successeur de saint Samson eût été l’archevêque. N’ayant pu y réussir, il déposa de sa propre autorité l’évêque de Nantes, Aclard, qui n’avait pas cru devoir assister à la cérémonie de son couronnement, sous prétexte qu’il était sujet du roi des Francs, et il le remplaça par un clerc de l’église de Vannes, au risque de susciter un schisme. Mais Nominoë avait à peine fermé les yeux que son fils Erispoë, pour plaire à Charles le Chauve, rétablissait Aclard sur son siège. Tant il est vrai que le roi de France, depuis le baptême de Clovis, était le gardien naturel de la discipline ecclésiastique dans ses États et dans ceux qui étaient ses tributaires, et que l’Eglise romaine, dont il servait les vastes desseins, était déjà assez forte pour s’opposer à la constitution d’une Eglise bretonne autonome et indépendante. On sait qu’au moyen âge et jusqu’à la Révolution, la juridiction des évêques dépassait souvent les limites de leur province, et que telle abbaye avait des prieurés en Touraine, en Anjou et en Bretagne. C’est par le canal de ces évêques et de ces abbés cosmopolites que l’idée française pénétra au cœur même des provinces féodales, de même que c’est la religion romaine, qui fut le principal agent de la conquête de la Bretagne par la France. La politique néfaste des ducs en fut un autre. Tant que la maison ducale fut de sang breton, l’influence française ne se fit guère sentir sur les marches, grâce à la sage précaution des ducs d’y constituer de grandes seigneuries avec des Bretons de race comme titulaires et des colonies de Bretons bretonnans comme défenseurs armés. L’ennemi alors fut l’Angleterre et tout le monde y fit face. Mais, quand la maison ducale fut de dynastie française, le pays fut en proie à toutes sortes de divisions. Ce fut d’abord la guerre des ducs contre leurs vassaux qui leur résistaient ; ce fut ensuite la guerre de succession, dans laquelle on vit les drus, partis rivaux faire appel au bras de l’étranger : Charles de Blois soutenu par la France, et Montfort par l’Angleterre.