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la lisant. Quant au reproche assez sérieux qu’on lui a adressé d’avoir laissé de côté la partie préhistorique, M. de la Borderie y avait répondu d’avance en disant qu’il n’écrivait pas la préhistoire, mais l’histoire de Bretagne. Il n’en est pas moins regrettable qu’il n’ait pas utilisé les découvertes géologiques et archéologiques faites depuis cinquante ans, pour nous tracer un tableau d’ensemble de la vie en Bretagne avant Jules César. Chateaubriand lui avait montré la route dans l’épisode de Velléda des Martyrs.

M. de la Borderie a divisé son livre en trois grandes périodes : les Origines bretonnes, — la Bretagne duché, — la Bretagne province. Les deux premiers volumes vont de l’époque gauloise à l’année 995 et sont consacrés à l’établissement des Bretons en Armorique et à la formation de la Bretagne armoricaine, qui fut définitive à la fin du Xe siècle. Le troisième va de 995 à la bataille d’Auray (1364). Le quatrième, malheureusement inachevé, ira de l’année 1364 à la réunion de la Bretagne à la France (1532). Le cinquième et dernier devait avoir pour objet la Bretagne province, mais on n’en possède que l’esquisse tracée à grands traits dans le résumé du cours de M. de la Borderie ; et, si les éditeurs[1] veulent m’en croire, ils se contenteront de réimprimer ce résumé en le faisant suivre des notes et des documens qui devaient entrer dans ce volume. Mieux vaut une œuvre d’art inachevée que terminée par le pinceau ou le ciseau d’un autre. A moins pourtant que M. J. Loth ne consente à se charger de ce travail. Je ne vois que lui qui puisse l’entreprendre avec la certitude de ne pas rester au-dessous de son modèle. Sans compter qu’à la fin de ce dernier volume, il pourrait respectueusement relever les erreurs de détail que M. de la Borderie a pu commettre, et qui sont le fait surtout de son ignorance du breton. Il en a déjà relevé, quelques-unes dans la Revue celtique, du vivant même de notre historien. Il pourrait compléter ce travail critique avec d’autant plus de liberté et de franchise que M. de la Borderie n’est plus là pour s’en tâcher. Il était, en effet, très susceptible et n’aimait pas la contradiction. Fort de ses vastes connaissances, de ses belles découvertes et de l’autorité qu’elles lui avaient acquise dans le monde savant, il mettait à défendre ses opinions, dès qu’on les suspectait, une opiniâtreté toute bretonne.

  1. MM. Plihon et Hervé, à Rennes.