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notamment sur ses Propos rustiques, dont il nous a donné une édition critique qui fait autorité.

Ce Noël du Fail était un type qui n’a point laissé de graine en Armorique. Quand on lit les Contes et discours d’Eutrapel, on a peine à croire, — en dépit des connaissances juridiques qui y sont éparses, — que cet Eutrapel ait été juge au présidial de Rennes et puis conseiller au Parlement de Bretagne ; on a peine à croire surtout qu’il fût de sang breton, car l’esprit qu’il y a dépensé n’a jamais fleuri en terre bretonne et sent plutôt la Touraine et l’Anjou, d’où sortirent Rabelais et Bourdillé. Mais Noël du Fail, qui s’était instruit, comme tant d’autres au XVIe siècle, à la grande école du monde, avait fait ses études à Angers, à une époque où le vin était si abondant que Flostulet, chez qui il logeait, le donnait pour rien à qui disait seulement un Pater Noster et un Ave. Cette redevance, si légère qu’elle fût, mais où le sacré et le profane étaient mêlés d’étrange manière, lui avait même valu le surnom odieux de « gabeloux. » Et je suppose que c’est le vin d’Anjou qui avait ainsi délié la langue à maître Noël. Mais il y avait en lui plus qu’un conteur, il y avait aussi un grave légiste et un historien à ses heures. C’est un fait notoire qu’à l’occasion d’une mission donnée par Henri III au vicomte de Méjusseaume et au soigneur de Bourg-Barré, Du Fail composa un gros ouvrage à l’effet de réviser les lois et coutumes de Bretagne[1]. A force de rire des robins et de relever sous la forme plaisante que l’on sait les abus de toute sorte qui se commettaient en justice, il avait fini par prendre son rôle de censeur au sérieux. Et La Croix du Maine écrivait en 1554 que, « si le laborieux écrivain n’étoit détenu du mal des gouttes qui le travaille et le tourmente sans cesse, il feroit bientôt imprimer plusieurs beaux œuvres de sa façon. » Or, devinez quel était le principal ! « Une fort belle et docte histoire de Bretagne. » Et voilà qui justifie amplement l’estime particulière que M. de la Borderie avait pour Noël du Fail ! Du moment qu’on s’intéressait à l’histoire de Bretagne et qu’on y travaillait, fût-ce à bâtons rompus et en musardant, M. de la Borderie passait sur le reste. Il était d’autant plus indulgent pour Du Fail, que, sans verser jamais dans la grivoiserie, il ne détestait pas

  1. Cet ouvrage a pour titre : Mémoires recueillis et extraits des plus notables et solennels arrests du Parlement de Bretagne, divisez en trois livres. (Rennes, Julien Duclos. 1579, in-folio.)