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du trône et de l’autel. Saint Mélaine fut donc un grand patriote en même temps qu’un grand évêque. Aussi je comprends la noble indignation qui s’empara de M. de la Borderie le jour où un tel saint fut dépossédé, chez lui, dans sa bonne ville de Rennes et par ordre de l’archevêque, son successeur, de l’église qui pendant quatorze cents ans avait porté son nom doublement glorieux.

… « Si j’étais maire de Rennes, s’écriait-il, je ferais un coup d’autorité. Puisque la mode est aux laïcisations, je laïciserais saint Mélaine. Laissant à qui de droit le soin d’honorer convenablement le bienheureux, je m’emparerais du patriote, du grand homme d’Etat ; je lui dresserais sur la place qui précède son église une belle statue avec cette inscription :

A SAINT MÉLAINE
L’UN DES PREMIERS FONDATEURS
DE LA NATION FRANÇAISE.

« Car l’histoire n’est point pour moi une lettre morte ; la solidarité entre les descendans et les ancêtres n’est point à mes yeux une vaine fiction : quand j’entends ceux-ci accuser du fond de leur tombe l’ingrat oubli où ceux-là trop souvent les laissent pourrir, je ne puis m’empêcher de faire écho à leur plainte et de crier à la génération actuelle : Père et mère honoreras[1] ! »

Voilà comment M. de la Borderie défendait nos vieux saints de Bretagne ; nous allons voir à présent comment il défendait nos vieux monumens.


III. — L’ARCHEOLOGUE

L’écrivain qui s’est promis d’écrire l’histoire de sa province ne doit rien ignorer de ce qui fait son originalité et la caractérise aux yeux de l’étranger. Or, le voyageur qui parcourt la Bretagne est pris par les yeux de tous les côtés à la fois. Sur le littoral, il est séduit et terrifié tour à tour par l’aspect grandiose et sauvage de la côte que la mer océane a déchiquetée comme à plaisir et où elle se brise avec un bruit d’enfer. A quelque distance de la côte, dans la lande couverte de genêts et d’ajoncs, il est stupéfié par les alignemens des pierres druidiques qui la nuit, au clair de la lune, ressemblent à toutes sortes de fantômes, et le jour, à

  1. Mosaïque bretonne, études historiques et documens inédits, librairie Plihon et Hervé à Rennes, p. 20.