Diderot, ni les Helvétius. Le luxe en soi n’a peut-être rien d’immoral : il ne l’est, ou ne le devient, que par la manière dont on se le procure et surtout dont on en jouit. Je ne vois pas pourquoi des saints ne mangeraient pas dans des plats d’argent. Et pour la question de la population, les économistes eux-mêmes ne savent pas encore très bien ce qu’ils en doivent penser au point de vue « social. » Aussi bien les faits sociaux se caractérisent-ils avant tout par leur complexité. Admettons donc qu’un jour, quand une analyse plus subtile, et surtout plus exacte, en aura débrouillé la complexité ; quand une science, — est-ce une science ? — qui n’en est encore qu’à ses premiers commencemens, aura reconnu son objet et trouvé sa méthode ; quand on aura surtout approfondi cette matière, plus neuve qu’on ne le croit, des rapports du moral et du social, admettons qu’il y ait rencontre ou coïncidence habituelle entre les exigences de « l’utilité sociale » et les « prescriptions de la morale. » Nous disons que, même en ce cas, si les exigences de l’utilité sociale sont évidemment changeantes, on n’y saurait donc subordonner la morale, qui n’est rien si elle n’est absolue.
- Qu’est-ce que tout cela qui n’est pas éternel ?
On ne peut concevoir la morale que sous la forme de l’éternité, sub specie æternitatis.
Je sais bien que c’est ce que l’on nie ! Mais, précisément, on ne le nie qu’en commençant par faire une confusion perpétuelle de la « morale » avec l’« histoire des mœurs. » On invoque la différence des temps, celle des races, la diversité des coutumes. On refait le chapitre de Montaigne ; on commente, à la lumière de l’anthropologie, le mot de Pascal : « Vérité en deçà des Pyrénées : erreur au-delà ; » on apporte à la discussion les usages des Indiens de l’Amazone ou des nègres de l’Afrique australe ! Et que croit-on avoir prouvé au bout de tout cela ? Que la morale varie d’âge en âge ? qu’elle se transforme ? et qu’elle « évolue ? » Non ! mais on a prouvé tout simplement que son caractère d’éternité ne s’opposait pas plus à son progrès que le caractère d’immutabilité des lois de la nature ne s’oppose au progrès de la science. C’est une mauvaise plaisanterie que de dire que, selon les temps ou les lieux, les mêmes actions ont été diversement jugées : aucune morale n’a jamais fait l’apologie de