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cœur. Il y a dans l’Ancien Testament certaines paroles : « Je suis Celui qui suis », ou « Je te montrerai tout le bien, » dont on ne retrouverait l’équivalent, pour la plénitude « il la totalité, que dans la musique du Messie. Elle a des clartés qui vont jusqu’à l’évidence et des affirmations qui nous donnent la certitude : « I know that my Redeemer lives. Je sais que mon Rédempteur vit. » Qui donc en douterait encore, ayant entendu cet air ? On rapporte que Beethoven, sur le point de mourir, désigna du doigt les partitions de Hændel, qu’il venait de recevoir, et dit : « Là est la vérité. » — Il ne dit pas : « Là est l’amour. »


V

Des œuvres de Jean-Sébastien Bach il aurait pu le dire.

En relisant tour à tour les deux maîtres, nous nous sommes rappelé souvent quelques lignes du Génie du Christianisme, qui définiraient assez bien l’un par rapport à l’autre le musicien de la Bible et celui de l’Evangile : « Plus fière sous l’ancienne alliance, la musique ne peignit que des douleurs de monarques et, de prophètes ; plus modeste et non moins royale sous la nouvelle loi, ses soupirs conviennent également aux puissans et aux faibles, parce qu’elle a trouvé dans Jésus-Christ l’humilité unie à la grandeur. »

Bach lui-même fut humble autant qu’il fut grand. Enfant de chœur, puis organiste, maître de chapelle et cantor, son existence a quelque chose à la fois de religieux et de caché. L’ombre du sanctuaire l’enveloppe. Elle s’écoule, non dans la solitude (il eut deux femmes et vingt enfans), mais dans la retraite. Elle n’a rien de commun, ni les voyages à l’étranger, ni les hasards, ni les succès ou les revers éclatans, avec la carrière officielle et publique de Hændel.

Autant que de la destinée de Bach, cette intériorité fait l’un des caractères et peut-être le fond même de son génie sacré.

Pourtant, comme Hændel parfois se concentre et se reploie, il arrive aussi que Bach se répand au dehors. Les plus dramatiques oratorios de Hændel le sont peut-être moins que telles pages de la Passion selon saint Matthieu. Bach avait à ce point le sens de sa vie, fût-ce de la vie extérieure, qu’on pourrait trouver, non pas même dans la Passion, mais dans une œuvre de musique pure (certain prélude du Clavecin bien tempéré), le germe