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sa personne même, dans son caractère et ses façons, quelque chose d’exubérant et d’indomptable. Il était corpulent et de haute stature, avec une physionomie énergique et qui pouvait devenir terrible. Son humeur, bonne ou mauvaise, éclatait en brusques saillies. « Charmé de vous voir revenu » (You are wellcome at home), disait-il au violoniste Dubourg, qui, longtemps « perdu » dans une cadence, avait fini par s’y retrouver. Polyglotte autant que son œuvre est polyphone, Hændel parlait plusieurs langues et les parlait quelquefois ensemble. Sa facilité, sa promptitude est demeurée légendaire. Il créait dans un perpétuel transport. Six semaines lui suffisaient pour composer un oratorio ; pour un opéra, c’était assez de quinze jours. « Ami lecteur, s’écrie dans la préface de Rinaldo le librettiste hors d’haleine, M. Hændel, l’Orphée de nos jours, m’a laissé à peine le temps d’écrire mon texte. J’ai vu avec stupeur tout un opéra complètement harmonisé et porté au dernier point de perfection en deux semaines. Que mon travail hâtif trouve donc grâce à tes yeux et, s’il ne mérite pas tes éloges, ne lui refuse pas du moins ta pitié ou plutôt ta justice, eu égard au peu de temps dont j’ai pu disposer pour le terminer[1]. »

Les facultés même physiques de Hændel étaient en rapport avec son génie. La force de ses doigts avait fini par creuser comme des cuillers les touches de son clavecin. Quand il criait : Chorus ! les choristes et les murailles en tremblaient. Sans compter que les solistes ne devaient pas être beaucoup plus rassurés, depuis le jour où le colosse en fureur avait failli jeter une cantatrice, la Cuzzoni, par la fenêtre. Un soir, au restaurant, il commande à dîner pour trois ; on tarde à le servir, il se fâche, et, comme on lui répond : « Nous attendons que votre compagnie soit arrivée. — Alors, servez prestissimo, c’est moi qui suis la compagnie. »

Longue et souvent difficile, sa carrière fui toujours en quelque sorte ouverte ou publique. « Ami, cache ta vie et répands ton esprit. » De ces deux préceptes, Hændel n’a suivi que le dernier. Compositeur officiel et directeur des concerts de la Cour ; infatigable fournisseur de Te Deum, d’antiennes funèbres et nuptiales, de symphonies et de sérénades pour accompagner des feux d’artifice ou des promenades sur l’eau (fireworks and water music) ; l’idole de l’aristocratie anglaise quand il n’en était

  1. Cité par M. David (G.-F. Hændel).