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ou le Dona nobis pacem de l’Agnus Dei), ira presque jusqu’à sommer le Seigneur de l’entendre et de l’exaucer. Et sans doute l’audace est plus sensible chez Beethoven. Mais déjà, dans la mystique litanie de Schütz, on croit surprendre çà et là quelque trace et comme un éclair de la violence que souffre parfois le royaume des cieux.

Voici, en revanche, une merveille de douceur. Après le Christ triomphant, voici le Christ consolateur. Après l’âme parlant à Jésus, voici que Jésus lui répond, de la voix la plus divine et la plus humaine en même temps que la musique ait encore jamais prêtée au Sauveur. Nous ne sommes plus dans le jardin de Joseph d’Arimathie, où retentissaient naguère les derniers échos de la Résurrection. Mais c’est encore un paysage, un paysage de Galilée, qu’une petite symphonie pour deux violons et l’orgue dessine d’abord en traits fins et purs. Bientôt, de la pastorale naïve se détache la voix du Bon Pasteur : « Venez, chante-t-elle, venez à moi, vous qui travaillez, vous qui êtes chargés, et je vous soulagerai. » Sans hâte, sans bruit, l’incessant appel s’élève, en les effleurant à peine, sur les degrés de l’accord parfait, mineur et majeur tour à tour. Ainsi les deux modes alternés font comme un jeu changeant d’ombres et de lumières, selon que la suave cantilène s’attendrit sur la douleur ou promet de la consoler. Tollite, poursuit la voix, tollite jugum meum, et la musique alors, ingénument imitative, s’échappe et court, avant même que la parole ait dit que ce joug est léger. « Portez mon joug et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. » Les harmonies sont ici les mêmes, — je veux dire aussi profondes et limpides, — que sous les deux noms : Marie ! Maître ! échangés dans le Dialogue de Pâques. Mystérieux privilège des sons ! Les mois ne savent que dire : « Je suis doux, je suis humble. » Mais quelques accords suffisent pour nous rendre en quelque sorte sensibles la douceur et l’humilité mêmes, dans leur essence spirituelle et comme dans leur être pur. Enfin l’appel et la promesse reviennent une dernière fois et la divine homélie s’achève par une suprême effusion de miséricorde. Venite ! Venite ! Après tant de prières des hommes à Dieu, on dirait que Dieu lui-même prie les hommes à son tour ; qu’il les presse de se laisser aimer, secourir et sauver par lui. Voilà ce que Carissimi n’avait pas chanté. Voilà, dans le style sacré, le sentiment ou l’éthos nouveau et la tendresse inconnue. Musicien de l’Evangile, Schütz