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parfois, en latin, naquit à Köstritz, juste un siècle avant Bach, en 1585. Son grand-père possédait à Weissenfels une auberge dont son propre nom avait fourni l’enseigne : « Zum Schützen (Au Tireur). » Son père était également hôtelier. « Dieu l’avait, a dit Schütz de lui-même, désigné dès le sein de sa mère pour l’état de musicien. » Nulle hérédité ne l’y prédestinait. Sa mère, il est vrai, s’appelait Euphrosyne, d’un nom qui signifie, suivant Pontus de Tyard, « la joie que nous cause la pure délectation de la voix musicale et harmonieuse. » Mais l’enfant ne trouva pas d’autre présage autour de son berceau[1].

De bonne heure il eut une jolie voix. Un jour, un prince allemand qui passait l’entendit et l’emmena. Mais, avant la musique, c’est le droit qu’il lui fit apprendre. A vingt ans seulement, le jeune jurisconsulte fut envoyé par son protecteur à Venise auprès de l’illustre Gabrieli. Il en revint l’égal de son maître. Alors s’ouvrit devant lui la carrière commune aux musiciens des siècles passés. Maître de chapelle des princes et même d’un roi, il vécut, à Cassel, à Dresde, à Copenhague, d’une vie que les malheurs de l’Allemagne (c’était pendant la guerre de Trente ans) firent errante, précaire et douloureuse. A maintes reprises, il alla revoir cette Italie qui lui avait révélé son propre génie. Quand vint la vieillesse, il l’accueillit sans révolte, et la mort même le trouva depuis longtemps préparé. Le prédicateur de la cour de Dresde a raconté ses derniers momens. Ils ressemblèrent à ceux de Palestrina, l’un des maîtres que Schütz admirait le plus. « Le 6 novembre (de l’an 1672), il s’était levé bien portant, s’était vêtu lui-même, quand, après neuf heures, voulant chercher quelque chose dans sa chambre, il fut prit de faiblesse et terrassé par un coup subit d’apoplexie. Ses gens le relevèrent, le mirent au lit, et, après qu’il eut fait entendre ces paroles : « Je remets tout à la grâce et à la volonté de Dieu, » une nouvelle attaque lui enleva l’usage de la parole… Il ne put répondre aux prières et aux exhortations de son père spirituel que par quelques signes de la tête et des mains. Il lui fit entendre ainsi qu’il avait son Jésus dans le cœur, reçut alors sa bénédiction, puis resta calme et sans mouvement. La respiration et le pouls diminuèrent peu à peu et, à quatre heures, il mourut doucement en paix, sans

  1. Voyez, pour tout ce qui concerne Schütz, la notice historique et critique de M. André Pirro, publiée en tête des Petits Concerts spirituels (édition de la Schola Cantorum).