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du nom de déterminisme. À la fois métaphysique et psychologique, ce déterminisme ne pouvait, on le pense bien, rester à l’état de pure théorie chez un « praticien » tel que Frédéric ; spontanément, son cerveau concret la réalise, et la doctrine abstraite, passant du domaine de la spéculation à celui de la vie, se résout d’elle-même en un principe de résignation fataliste. — Elle lui montre en effet, dans l’homme, un être déterminé dans ses actes, comme dans le monde un Tout réglé par des lois aveugles et immuables. « Instrumens nécessaires d’une main invisible, nous agissons sans savoir ce que nous faisons…, les politiques et les guerriers ne sont que des marionnettes » aux mains de « la destinée qui mène le monde à son gré. » Or, la destinée, « les lois universelles, » veulent une mutation perpétuelle des choses dans cette « lanterne magique » du monde, « de là toutes ces révolutions, ces prospérités, ces infortunes et tous ces jeux de hasard qui ramènent sans cesse des scènes nouvelles : » le monde est « une figure qui passe. » — Et, dans ce monde « où chaque jour nous apprend à mourir, » l’homme n’est pas fait pour être heureux, mais pour remplir sa destinée particulière ; tout ce qu’il peut espérer, c’est que les temps mauvais passent comme passent les bons, comme tout passe ici-bas. « La nécessité du mal, l’inutilité du remède, » telle est la pensée dominante que Frédéric « force » en son âme ; « il faut, dit-il, s’attendre à tout : »


Tous les événemens que nous lisons dans l’histoire peuvent se reproduire ; les aventures des hommes, tant héroïques qu’ordinaires, font un certain cercle qui tourne toujours : les auteurs changent, mais le fond n’est différent que par de petites circonstances. Ainsi je ne m’étonne de rien. Prétendre que la fortune soit constante, c’est vouloir qu’un chien ait des écailles, un vautour des cornes… Il faut que la fortune soit légère, qu’un papillon ait des ailes, et tant que Jupiter aura ses deux tonneaux dont il verse sur les humains les biens et les maux, que notre destinée soit mêlée, tantôt agréable, et tantôt fâcheuse. Voilà comme les choses iront jusqu’à la fin des temps : la vie ne nous a été donnée qu’à la condition de nous soumettre à la condition de notre espèce


Voilà comment il raisonne philosophiquement sa douleur, et comment il trouve moyen de l’apaiser, sous le prétexte de consoler sa sœur Wilhelmine, à qui il adresse ces lignes. Le mal étant inévitable, « il faut en prendre généreusement son parti : » la vie, qui est trop courte pour les vaines spéculations, est aussi