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difficulté vaincue… » Faut-il enfin rappeler les premiers mots de cette page célèbre que dédie à son héros le profond analyste de la Jeunesse du Grand Frédéric : « Génie froid, comme la raison pure, maître de lui, sûr de lui, sincère envers lui-même et d’autant plus capable de tromper les autres, libre de toute prédilection, de tout préjugé, de toute passion… ? »

Ne peut-on pas craindre, toutefois, qu’à force d’idéaliser la grande figure de Frédéric, nous ne fassions une place un peu excessive dans notre analyse de l’homme à l’influence de la culture et du milieu, aux dépens de celle de la nature et du passé ? A ne plus voir en Frédéric que l’« intellectuel, » le « virtuose, » ne risque-t-on pas de négliger un peu en lui les autres élémens constitutifs de la personnalité, les forces vives de la race et du tempérament, la richesse de cette imagination, l’ardeur de cette faculté maîtresse, la passion de l’action ? Sa gloire même ne gagnerait-elle pas à ce qu’on connût mieux, par exemple, les épreuves morales, les crises de découragement et de désespoir par lesquelles passa ce « dilettante » pendant la guerre de Sept ans, puisque c’est l’honneur de sa vie d’avoir surmonté ces épreuves ? Telle est du moins la réflexion que suggère l’étude de ce document historique de premier ordre qui est sa Correspondance politique : document véridique au premier chef, car les pièces qui le composent n’ont pas été écrites pour le public, comme les œuvres littéraires, ni faites, comme les lettres à Voltaire et à tant d’autres, pour circuler dans le monde des philosophes et des gens de lettres ; document très varié d’ailleurs, qui renferme, à côté des papiers purement politiques, nombre de lettres familières où la personnalité se montre en pleine lumière. A l’aide de ce document, nous voudrions tâcher de dégager certains côtés peut-être un peu moins connus de cette figure si connue du grand Frédéric, d’examiner comment et jusqu’où la culture contemporaine a pénétré cette nature et s’est conciliée avec elle, en étudiant d’abord eu Frédéric la forme mentale, puis le tempérament et le caractère dominant.


I

On n’ignore pas quelle influence a exercée sur la formation intellectuelle du grand Frédéric la culture philosophique et littéraire du siècle où il a vécu : c’est, on s’en souvient, ce qu’a si