dentelées sur la crête par la frange des arbres dépouillés, juste dans l’axe du port de commerce, se creuse une enfoncée où la brume bleuit, plus épaisse : c’est la trouée de la Divette, le débouché de l’exquise vallée de Quincampoix… Mais tout cela s’estompe vite, s’efface, se confond, car nous allons à bonne allure, favorisés par le courant de flot. Voici le cap Lévi, son phare carré, ses rochers noirs prolongés en chaussée sous-marine, qu’il faut « arrondir. » Voici Barfleur et encore un phare, mais très haut celui-là, très puissant, le phare de Gatteville. Là aussi, des paquets de roches en grands plateaux verdâtres et luisans, sillonnés de chenaux où le courant fait rage, emportant comme des fétus les petites barques de pêche. Ce sont, heureusement, de solides marins que ces gars de la côte : d’ailleurs, avec le calme qu’il fait, un bon coup de gaffe suffit à vous « déborder » des cailloux.
Cap au Sud maintenant, puis au Sud-Est, pour aller prendre le mouillage. Après Barfleur sur sa pointe basse, Saint-Vaast-la-Hougue, gros bourg de pêche, se développe dans un cadre coquet de mamelons boisés, tachetés de maisons blanches et de clochers gris que la Saire aux jolis moulins enlace de ses replis. Au Sud du bourg la citadelle de Vauban, — qui aurait voulu faire ici, et non pas à Cherbourg, le port de guerre dont il sentait bien que les escadres de Louis XIV auraient un jour besoin, — et, plus au Sud encore, l’île fortifiée de Tatihou. C’est là, au pied de ces défenses insuffisantes, que furent brûlés quinze des vaisseaux de Tourville, mal mouillés parce qu’on n’attendait pas de si lot les alliés, fracassés déjà par la terrible canonnade de l’avant-veille, mal défendus, il faut l’avouer, par des lambeaux d’équipages exténués par la lutte la plus extraordinaire dont l’histoire maritime fasse mention.
9 heures et demie. — Le Fontenoy et le Beveziers sont mouillés à peu près Nord et Sud avec la Hougue ; au large et à 400 mètres environ, trois torpilleurs, jouant le rôle qui reviendrait plutôt à des contre-torpilleurs, les couvrent contre les sous-marins. Ceux-ci, à la vérité, pourraient prononcer leur attaque du côté opposé et comme s’ils venaient de la côte ; mais il faudrait pour cela qu’ils franchissent des bancs sur lesquels il n’est pas probable qu’ils se risquent.
La veille s’organise à bord des deux cuirassés : une bordée est sur le pont ; des guetteurs sont placés aux bons endroits ; les