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encore l’éviter, il faut fuir, si l’on prétend conserver des vêtemens immaculés.

La rade est belle : le calme du soir après une journée de petites brises folles, de l’ouest au nord. Peu de bâtimens à l’ancre sur ce vaste plan d’eau. Le Beveziers, qui nous a précédés de bien peu (décidément, c’est le 30 que nous sortirons de l’arsenal : deux jours de gagnés !… nous nous sommes débrouillés, en effet) ; le Beveziers représente seul notre division et porte le pavillon du contre-amiral. Le Buffle est toujours là et toujours prêt à marcher. Au loin, du côté de la digue, le profil bas, estompé, de la vieille batterie flottante l’Imprenable, qui, elle, ne bouge jamais, « amarrée à quatre » pour les lancemens de réglage des torpilles automobiles.

Çà et là quelques cotres de pilotes qui rentrent paresseusement, leurs grandes brigantines grises battant au calme, un ou deux pêcheurs qui s’attardent sur leurs petites barques noires, et un patouillard à vapeur, fort laid, qui halette en sortant des jetées et s’avise, brusquement, de lancer des torrens de fumée noire. Ce vandale à part, tout est aimable et apaisant dans cette fin d’un beau jour d’hiver où un reste de soleil se joue à jeter de l’or sur la crête des petites vagues mourantes et à peindre en ocre éclatant les flancs massifs du fort de l’île Pelée.

30 janvier. — Allons ! c’est fini, c’est bien fini, le port avec tous ses plaisirs et tous ses ennuis. C’est fini de dormir tout son saoul, d’avoir la marchande tous les jours et d’aller flâner en ville un soir sur deux, comme des rentiers… C’est fini, les galoches ; c’est fini, les gris sales et les tricots douteux… Mais, parbleu ! c’est fini aussi de ne pas pouvoir « en griller une, » quand on en a envie, sans avoir le capitaine d’armes sur le dos, et c’est fini de moisir dans l’eau sale, le museau sur un mur, comme les ânes à la foire !…

Allons ! oust !… En rade. Vétérans, câbles, aussières, remorqueurs, et la Saire par-ci et la Divette par-là, c’est tout la même chose qu’il y a deux mois, sauf que c’est tout le contraire, comme de faire par le flanc droit et par le flanc gauche. Si bien qu’à 10 heures du matin, nous voilà partis et, d’entrée de jeu, pour nous dégourdir les jambes, nous faisons le tour de la digue. Après quoi nous allons nous amarrer « aux quatre coffres » pour rectifier nos compas.

Et que de choses à retoucher encore, pour être vraiment