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blanche, faible… Ils reviennent d’un monde lointain, peut-être de ce paradis des calfats, sur le mont rougeoyant de Six-Fours, près de la Seyne, là-bas…

18 janvier. — Pour échapper quelques instans à l’exaspérant vacarme du bord, je suis allé voir le Jules-Ferry. Singulière idée, si l’on veut, car je passe du calfatage au rivetage, et l’un vaut l’autre… Oui, mais ce n’est cependant pas la même chose : au Jules-Ferry, je suis en plein air, ou à peu près, sous son immense cale de construction ; les lancinantes vibrations de la tête martelée par une centaine de riveurs entrent par une oreille et sortent par l’autre, tandis que, enfermé dans ma chambre du Fontenoy, c’est dans ma pauvre tête que se concentrent les coups de maillet de nos braves calfats…

« Un beau brin de bois, » disait-on autrefois des sveltes et rapides frégates qui remplirent si glorieusement pendant vingt-deux ans, contre les Anglais, le rôle de croiseurs du large. Ces beaux brins de bois étaient quelquefois fort solides : les Américains en construisirent, en 1812, de si bien râblés et de si bien armés qu’ils pouvaient à la rigueur prêter le flanc aux « deux ponts » de Sa Majesté britannique. Au fait, ces frégates-là, c’étaient les croiseurs cuirassés d’aujourd’hui. Nil novi sub sole.

Je ne dirai pas du Jules-Ferry que c’est un « beau brin d’acier. » Non, il est vraiment trop grand, trop lourd (13 000 tonnes ! ). Et d’ailleurs, à le voir ainsi, ses côtes, ses membres à nu, on sent trop quelle immense quantité de pièces métalliques il faut assembler pour achever l’énorme machine de guerre. Pourtant, grâce à l’heureux ajustage de toutes ces parties, grâce à un savant système de liaisons ; grâce aussi au rivetage même qui rend membrure, couples, bordé, vaigrage étroitement solidaires, on peut comparer le grand navire moderne sinon à un brin, du moins à un barreau d’acier, dont il a presque l’homogénéité,… et, malheureusement, l’élasticité.

L’élasticité, les vibrations !… Voilà l’écueil de ces trop longues unités de combat : vibrations insupportables à certaines allures, vibrations qui peuvent compromettre l’utilisation militaire du bâtiment. Le problème s’est posé déjà pour d’anciens croiseurs en fer, tel le Tourville, justement ; puis pour ceux du type Forbin. Je me rappelle que M. de B… me disait, il y a quelque douze ans, ses préoccupations à ce sujet et comment il parait à ce grave inconvénient. Mais c’étaient là, je crois, des