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d’inattention, pour une avarie insignifiante en apparence ! La mort lente, au fond de l’eau, dans ce grand cercueil de tête et à deux pas du port, tout près des siens.

D’Acquerie, le commandant, me fait un petit signe de la main : « Au revoir ! » — « Bonne chance, cher ami !… » Ah ! le brave officier, solide et ardent à la fois, si enthousiaste de son Calmar, et si bien maître de lui, de son bateau, de ses hommes ! Ces commandans de sous-marins sont une élite, élite que préparait déjà celle des commandans de torpilleurs. Et c’est au moment où l’officier de vaisseau montre si bien la souplesse d’aptitude que lui donnent son instruction et son expérience, la valeur morale qu’il puise dans son éducation, dans le précoce exercice de la responsabilité, c’est à ce moment qu’il est le plus attaqué de tous côtés !

La Guerre lui a pris, avec les troupes coloniales, ses bases d’opérations, ses batteries, la défense de ses ports, où la haute direction appartient désormais à un général ; bientôt elle lui prendra la construction de ses canons, dont se désintéressera, forcément, l’artillerie coloniale. Dans son arsenal même, son autorité est balancée par celle de l’ingénieur de sa compétence technique ; du nombre de ses ouvriers, de l’importance de ses ateliers et de ses magasins ; et aussi par l’influence grandissante du contrôleur, qui prétend, dit-on, à la première place, hanté du souvenir à la fois des intendans de Colbert et des commissaires de la Convention… Déraciné, repoussé sur la mer, isolé sur ses vaisseaux, l’officier de marine y retrouve des auxiliaires mécontens, qui commencent à marchander leurs services et à qui préjugés et équivoques gagnent la faveur de l’opinion.

Ce n’est pas tout encore : l’inscription maritime, ce fondement essentiel, est battue en brèche autant par ceux qu’elle protège que par ceux qu’elle gêne. Leurs efforts réunis amèneront tout à l’heure, si l’on n’y prend garde, la disparition bien inopportune de la plus ancienne des applications du socialisme d’État. Enfin, le peu qui subsistait de notre juridiction sur la marine marchande va être aboli : ne s’agit-il pas de favoriser l’ambition envahissante d’un jeune ministère et de satisfaire l’envie hargneuse des capitaines au long cours en même temps que les rancunes des armateurs, dont nous contenons l’avidité ?

Ainsi recrutement, organisation, points d’appui, autorité matérielle, hégémonie morale, tout nous manque ou nous est