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blanc ne vaut pas cher. Tout cela est réglé : ce sont des rites.

En attendant, il s’agit d’aller nous-même chez le commandant, et cette première cérémonie est importante. L’excellent Deros, le mécanicien principal (oh ! rien d’un révolutionnaire, celui-là) tire plusieurs fois sa redingote récalcitrante sur un bedon naissant, tandis que le jeune Corley assure d’un coup de doigt le partage d’une jolie barbe blonde sur un faux-col d’une coupe spéciale et d’une élégance exquise : toujours parfaitement habillé, Corley ; mais le mérite de son tailleur n’efface pas le sien : c’est un gentil jeune homme et un bon officier, qui, déjà, s’est distingué là-bas…

— Allons, messieurs, dit de M…, le chef du carré, sommes-nous tous là ? — Oui ?… Je vais faire demander au commandant s’il veut bien nous recevoir.

4 janvier. — Froid noir, vent de sud-est, farouche, glacé. Presque nuit encore à 7 heures un quart du matin, sous les arbres nus et gémissans du glacis. La grande foule des ouvriers est en marche, pesante, endormie encore, le des plié, les oreilles dans le collet relevé… Et ce flot qui coule, qui coule toujours, s’engouffre sous la voûte du mur d’enceinte de l’arsenal dans un silence lugubre. Que nous sommes loin de ces gaies et bruyantes rentrées d’ouvriers de Toulon ! Autre ciel, autre race !…

Passé la porte, le fleuve s’étend, se divise, se disperse : pourtant le gros traverse le « Sahara, » la grande esplanade, dans toute sa longueur. Mais, à la coupure qui sépare le bâtiment des constructions navales de celui de la Majorité générale, tout s’arrête : le pont est ouvert pour laisser passer un sous-marin et la chaloupe à vapeur qui l’escorte.

Le voilà ! le voilà qui vient du fond du bassin Napoléon III… c’est le Calmar… Sur le bord de la coupure, tout le monde se range, ouvriers, employés, marins, officiers. On a vu bien souvent déjà passer un sous-marin ; mais c’est égal, on regarde toujours et c’est toujours intéressant ;… non pas que l’on voie rien qui surprenne, un engin nouveau, un appareil mystérieux ; non, tout cela est à l’intérieur et, pour le profane, le Calmar, — un submersible, — ne se distingue guère d’un torpilleur ordinaire ; mais c’est tout de même saisissant, ces hommes qui passent là, devant vous, tranquilles, parfaitement calmes, souriant à une figure amie, et qui tout à l’heure, peut-être, dans un exercice de plongée… Oh ! Dieu ! L’épouvantable mort, pour une seconde