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autographié et distribué à beaucoup de députés. Par le fond et par la forme, ce document dénonce un état d’esprit déplorable, et ç’a été un soulagement lorsque nous avons reçu communication officieuse de l’habile, vigoureuse et spirituelle réponse que l’amiral de B… a faite au libelle. Il faut croire que cette remise au point des faits dénaturés et des idées travesties par M. M… n’était pas inutile et que la réplique de l’amiral a porté juste, car le ton des polémiques s’est adouci et il est probable que la commission mixte nommée par le ministre pour examiner la situation du corps des officiers mécaniciens ne proposera pas grand changement à un état de choses que nous considérons déjà comme fort avantageux pour ces Messieurs.

Bien des réflexions, pourtant, viennent à l’esprit sur cette fâcheuse affaire, dont on ne sait, après tout, quelles seront les suites lointaines. La plus grave de ces réflexions, c’est que nous sommes, nous les officiers de vaisseau, nous qui détenons le commandement, cet imperium qui nous fait tant d’envieux ; nous sommes, dis-je, responsables moralement de l’état d’indiscipline et d’anarchie où se trouve une partie, une partie seulement des mécaniciens de la Marine.

— Quoi ! s’écrie de M…, à qui j’en parlais tout à l’heure, est-ce notre faute si le mauvais esprit de certains dégénère aujourd’hui en révolte ouverte ?

— Oui, c’est notre faute pour une bonne part ; non pas que nous ayons montré à ces Messieurs le dédain dont se plaint si aigrement leur avocat, non pas surtout que nous n’ayons fait preuve de sollicitude pour leurs intérêts : tous ceux qui connaissent la Marine savent qu’il n’y a point de catégorie du personnel pour laquelle on ait plus fait depuis vingt ans, si bien qu’à certains égards, elle est vraiment privilégiée, pour la solde, par exemple. C’est notre faute, tout bonnement parce que nous ne leur avons jamais appris la discipline. Et, à cet égard, notre incurie est étonnante : connaissez-vous un mécanicien, depuis le simple ouvrier ajusteur qui arrive de son atelier au dépôt jusqu’au premier maître qui va devenir officier, en connaissez-vous un seul à qui l’on ait jamais dit un mot de ses « devoirs militaires ?… »

— Hé ! vous savez bien que la « théorie sur les devoirs militaires » est toute nouvelle dans la Marine. On s’en était passé jusqu’ici, et les choses…