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et ça dure près d’une heure ; il faut, n’est-ce pas ? se laver les mains auparavant, aller au réfectoire, après avoir pris à la coquerie la marmite qu’on y avait laissée le matin… Tout cela prend du temps ; on traînasse un peu, naturellement, surtout pour revenir à l’atelier, ou au chantier, ou au bateau…

— Voyons, en somme, dans la saison d’hiver, — car je sais qu’en été la journée dure davantage, — en hiver travaille-t-on huit heures, huit bonnes heures par jour ?

— Heu ! capitaine, c’est tout juste !… sept heures et demie plutôt… Et d’ailleurs, ce n’est pas tant ça ! Si ça marchait bien pendant les sept heures et demie !… Mais, dès que nous avons le dos tourné, nous autres surveillans, ça ne va guère. Et encore, même quand nous regardons, c’est une misère, capitaine, parce que, voyez-vous, nous n’avons pas assez d’autorité : nous ne pouvons pas punir… Ainsi moi, tenez, aujourd’hui, j’aurais eu occasion de punir un de mes hommes : il ne f… ichait rien, ce gaillard-là ; il y avait un bon moment que je m’en apercevais… Et je le lui ai dit ; et il m’a répondu. Il n’avait pas tort, comme de juste ; c’était l’ouvrage qui avait tort, ou moi, peut-être bien aussi. Alors je me suis dit : faut-il aller prévenir l’adjoint technique, le chef d’atelier ? Mais il me fera faire un rapport écrit, et puis il fera le sien à M. l’ingénieur, et puis M. l’ingénieur fera le sien au chef de section, et celui-ci à M. le directeur, et puis, mon bonhomme, savez-vous ce qu’il aura ? Une réprimande !… une réprimande, va te faire lanlaire ! Ce que ça lui est égal !… Alors, vous comprenez, je me suis ramassé. Mais je n’étais pas content… Ah ! non !…

— En effet, Labove, il me semblait bien que vous aviez quelque chose… mais, dites-moi : vous n’êtes pas toujours aussi mécontent de vos ouvriers ?

— Non, capitaine, mais encore assez souvent ; et ce sera comme ça tant qu’il faudra des histoires et des histoires pour se faire obéir. Et puis voilà qu’on nous menace : le syndicat par-ci, le syndicat par-là, et « la prochaine, » le grand chambardement, que sais-je, moi ?…

— Bah ! ça n’est pas bien sérieux tout ça,… les gens sont tranquilles, ici, vous le savez.

— Je ne dis pis, je ne dis pas,… mais tout de même, ça n’est pas commode. Ah ! non, ce n’est pas commode de faire travailler les ouvriers, à cette heure.