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nos échelles de coupée, fermé les sabords voisins des deux plages ; bref, toutes précautions sont prises pour que rien « n’accroche » dans les étroites coupures des darses où nous allons passer. L’équipage est aux postes d’appareillage, la machine balancée, la barre à vapeur prête à fonctionner.

Ce n’est cependant pas avec nos seuls moyens que nous rentrerons dans l’arsenal : un robuste petit vapeur, la Divette, prendra notre remorque à l’avant ; un autre, plus faible, s’attellera derrière pour faire frein, si notre éperon menaçait un quai de trop près. Deux grosses chaloupes à vapeur nous encadrent à tribord et à bâbord, qui porteront les amarres et qui, au besoin, appuyant leur étrave sur nos flancs cuirassés, nous aideront à tourner sur place. Et tous ces mouvemens, c’est la direction des mouvemens du port qui les ordonne, les fait exécuter, en prend la responsabilité. Le sous-directeur, un capitaine de frégate, est là, sur la passerelle. Notre commandant assiste à l’opération en simple spectateur.

Ça y est-il ?… Parés partout ?… En route ! L’aussière qui nous retient sur le coffre du corps mort est larguée ; la Divette met sa machine en avant et nous l’aidons de la nôtre à petite allure. Le Fontenoy'', doublant par le sud les quatre coffres de la régulation des compas, passe devant le Formigny ; puis devant le stationnaire, le buffle ; enfin, le cap déjà sur l’entrée du port, devant la grande cale de construction en fer, une sorte de galerie des machines, où s’élève lentement la carcasse ajourée du Jules-Ferry : 10 heures vont sonner au moment où nous franchissons les musoirs de l’avant-port, et aussitôt, comme il s’agit de nous amarrer dans le bassin Charles X, « stop la machine de tribord ! Stop aussi la Divette ! Et tout à droite, la barre, pour tourner court, cap au nord ! Hale sur les aussières de tribord devant et bâbord derrière ! Hardi, garçons ! Allons, souque un coup !… Hé, toi, le Becquet, mets-nous une autre aussière sur le coffre du nord-ouest ! Toi, la Saire, pousse sur la hanche de tribord du bateau ! Ensemble, garçons, ensemble !… Ne mollissez pas !… »

Et c’est un tohu-bohu d’appels, de cris rauques, de sifflets aigus, de piétinemens de sabots sur les plages sonores ; de grincemens de câbles qui se déroulent, se tendent, dégouttans d’eau… Quel vacarme ! Et quelle confusion !…

Confusion ? Point du tout. Tout cela est réglé, au contraire. Trois minutes après, le pont roulant de la darse Charles X