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mécaniciens principaux, gens établis, rassis, qui se voient déjà installés, le soir venu, au coin du feu familial, tandis que leur héritier récitera sa leçon du collège et qu’ils donneront gravement des conseils de style à la jolie fillette aux yeux rieurs, aux cheveux blonds dans le dos, la fillette « qui va au cours… »

Enchanté encore, et surtout, l’équipage,.. mais avec des nuances. Les maîtres chargés, les vieux seconds maîtres, calculent que, si le service sera moins rude, ils ne seront pas beaucoup plus libres qu’en rade où ils ont déjà licence d’aller à terre un soir sur deux. Mariés aussi, pères de famille, Bretons breton-nans, ils sont peu curieux de semer leur bon argent dans les cabarets… Et quels cabarets encore !… des cabarets de Cherbourg, des cabarets normands !

D’autres, — la foule des bons mathurins, — y regardent de moins près : le cidre est aussi bon ici qu’à Brest ; on ne peut pas dire le contraire. Le petit verre y racle aussi bien le gosier. Et puis, quoi ?… Les filles des débits de la rue de l’Abbaye ne sont pas plus farouches que celles des bouchons de Recouvrance, n’est-ce pas ?… Alors !… Avec cela, plus de ces canotées de longueur d’où l’on sort moulu et trempé à la fois ; plus de quarts de nuit ; plus de ces tristes balades dans le noir, sous la bise aigre, le cou dans les épaules serrées… Et les exercices ? Ah ! bien oui, les exercices !… Finis, les exercices ! Et au surplus, c’est assez amusant, le port, l’arsenal : on voit du nouveau, on se promène le nez en l’air au milieu des grandes bâtisses imposantes, les bureaux, les magasins, les ateliers pleins d’énormes machines qui grincent et qui grondent comme des bêtes mauvaises ; on voit les bateaux neufs où des quantités d’ouvriers tapent à tour de bras sur les têtes retentissantes, et aussi les vieux, qui sont en réserve, silencieux, mornes, pleins de souvenirs pourtant : les anciens cuirassés où le père, le frère aîné, ont été embarqués, du temps de l’amiral X… Ah ! oui, c’est amusant, le port !

Remontons, maintenant. De cette nouvelle à sensation qui met tout le Fontenoy en rumeur, que pensent les autorités, le commandant, le second ?…

Hem !… Ici les choses se compliquent. Assurément, c’est une grande douceur, cette paix relative qui succède brusquement à la fièvre du service d’escadre, aux appareillages, aux évolutions, aux tirs ; cette tranquillité d’esprit après l’inquiétude des signaux échangés, l’anxiété des regards fixés sur l’amiral ; ce calme même,